Techniquement, nous entendons par traduction standard, la traduction en français du Coran réalisée sous le patronage de la ligue islamique mondiale saoudienne et ayant pour titre : Le Saint Coran et la traduction en langue française du sens de ses versets, version bilingue arabe-français, Presses du Roi Fahd, Médine, première édition 1989, sans cesse rééditée depuis.
Notre appellation de traduction standard se justifie pour plusieurs raisons :
1– Cette traduction fait à l’heure actuelle référence auprès de la communauté musulmane et a éclipsé les nombreuses autres traductions présentes sur le marché.
2– Ce succès est principalement dû à ce qu’elle a été distribuée par l’Arabie saoudite, le plus souvent gratuitement, phénomène ensuite amplifié par une reproduction et une circulation massive sur Internet.
3– Cette image de marque a été renforcée dans le milieu francophone musulman du fait que cette traduction prétend n’être qu’une simple amélioration de la célèbre traduction française du Coran établie par le professeur Hamidullah, ce qui est faux.[1]
4– Cette diffusion a revêtu un caractère mondial, car ce projet a été réalisé en plus de trente-cinq langues.
5– Cette traduction exprime une interprétation standardisée du Coran qui s’est imposé en raison du grand effort au niveau mondial d’infiltration de la pensée musulmane et islamique orchestrée par le wahhabo-salafisme saoudien.
6– Elle exprime donc une compréhension du Coran très orientée, mais largement intégrée par l’inconscient collectif musulman actuel.
7– Plus qu’elle ne traduit le Coran, cette traduction restitue donc une exégèse standard, celle que nantie d’une majuscule nous nommons dans nos travaux l’Exégèse. De fait, sa prégnance écarte toute autre interprétation du Coran possible et par voie de conséquence toutes les traductions disponibles ne sont que le reflet de l’Exégèse. Ceci explique aussi que la traduction standard se définisse elle-même comme « la traduction du sens de ses versets ».
Or, en l’introduction de cette traduction, les auteurs de ce travail collectif précisent sans ambiguïté ce qu’ils entendent par « traduction du sens de ses versets ». L’on peut ainsi lire ce qui justifie leur démarche : « le besoin pressant de réaliser une traduction du sens qu’il faudrait donner aux versets du Saint Coran » ! L’aveu est sans appel, ce n’est point le sens du Coran qui est recherché, l’objectif est d’imposer les interprétations défendues par le wahhabo-salafisme. Si toute traduction est potentiellement une interprétation, la traduction standard est l’expression consciemment la plus aboutie de ce phénomène, elle est aussi pleinement assumée qu’éloignée du sens littéral du Coran.
Pour ce faire, les traducteurs ont utilisé toutes sortes de procédés leur permettant d’induire les significations/interprétations qu’ils souhaitaient. Citons : un tri sélectif orienté au sein de la polysémie terminologique, le fréquent recours à des mises entre crochets de segments inducteurs et modificateurs, la mise entre parenthèses de supposées précisions qui ne sont pas dans le texte, l’inclusion directe sans parenthèses ou guillemets de termes ou segments commentateurs absents du texte coranique, la mise entre guillemets arbitraire des dialogues les attribuant parfois improprement, des traductions de termes-clefs volontairement et subjectivement erronées, le recours à de très nombreuses notes de bas de page aussi assassines que fallacieuses, etc.
Grâce à l’ensemble de ces intentions et moyens, et avec l’aide de la puissance de diffusion de la première Petrothéo-monarchie du monde, la traduction standard est parvenue à imposer aux musulmans comme du reste aux non-musulmans sa lecture du Coran. Au final, malgré cette prise d’otage systématisée du sens, la traduction standard est parvenue à asseoir son autorité au nom d’un littéralisme revendiqué, mais dont on doit connaître toute la partialité.
Aussi, du point de vue de notre démarche littérale, faisons-nous méthodiquement et méthodologiquement recours à ladite traduction standard, non pas pour nous en inspirer ou nous y confirmer, mais bien afin de rompre le cercle herméneutique qu’elle a instillé et installé en chacun d’entre nous. En pratique, nous la citons systématiquement afin d’illustrer ce que l’Islam dit de ce que le Coran est censé dire. Cette démarche est logique puisque la traduction standard a été conçue pour exprimer et imposer l’avis exégétique moyen général des musulmans. Ceci explique aussi que contrairement à ce que proposent les lectures contemporaines, nous ne mentionnons jamais d’autres interprétations possibles issues de la diversité du patrimoine exégétique classique. En effet, l’ Analyse littérale du Coran procède à partir du texte coranique lui-même et n’est en rien un choix plus ou moins personnel et subjectif au sein de diverses interprétations. Rappelons-le, le Sens littéral est par définition non-interprétatif. Notre utilisation de la traduction standard nous permet donc de mettre en évidence par quels mécanismes interprétatifs l’Islam par son activité exégétique est parvenu à infléchir le sens littéral du Coran et à imposer son propre faisceau d’interprétations. Cette première étape déconstructive constitue bien souvent un préalable indispensable afin de repérer et court-circuiter les circularités herméneutiques induites par l’Islam, la mainmise de ses interprétations sur nos propres compréhensions.
À l’opposé de la traduction standard “littéraliste”,[2] l’entièreté du processus d’analyse littérale permet d’aboutir à une Traduction littérale du Coran, c’est-à-dire une transcription exprimant le Sens littéral méthodologiquement mis en évidence.
Dr al Ajamî
[1] En effet, il est parfaitement établi que lorsque le professeur Hamidullah a compris l’objectif exégétique de cette commission, il refusa d’y participer. Cela n’a pas empêché ladite commission saoudienne de se revendiquer de l’autorité morale du professeur Hamidullah !
[2] Pour toute l’essentielle différence entre littéral et littéralisme, voir : Sens littéral et Littéralisme.