Skip to main content

La Jizya et les dhimmî selon le Coran et en Islam

S9.V29

 

Cette  question n’a plus guère cours en terre d’islams depuis le XIXe  siècle, c’est-à-dire en fonction de l’affaiblissement de l’Empire ottoman, de la progression de la colonisation occidentale et de la formation des États nations. Cependant, en partie du fait que la jizya, ou djizya, a été remise à l’ordre du jour par de prétendus États islamiques, le débat a été réactualisé. Ce sujet est alors traité comme preuve de l’archaïsme de l’Islam et de la menace qui pèserait sur le monde judéo-chrétien si l’expansion supposée de l’Islam se poursuivait. Plus préoccupant que ces fantasmes sur fond de bruits de bottes feutrés, le Coran est régulièrement accusé d’être le promoteur de cette mesure discriminatoire puisque l’Islam, comme il est de règle, affirme en la matière se fonder directement sur le texte coranique. Qu’en est-il réellement ?

 

• Que dit l’Islam

Pour l’Islam, la jizya est un impôt de capitation[1] dû par les populations non-musulmanes incluses en territoire administré par les musulmans et souhaitant conserver leur religion. Ils sont alors protégés tout autant d’une agression extérieure que de la menace des musulmans eux-mêmes. L’hagiographie islamique indique donc que l’institution de la jizya est une loi coranique mise systématiquement en application depuis le califat de ‘Umar.[2] Seul ont varié dans le temps les conditions d’application, les catégories concernées, mais aussi le montant, le degré de protection ou de rétorsion à l’encontre des communautés soumises à cette taxation, généralement juifs et chrétiens, nommés de ce fait dhimmî/protégés

À l’heure actuelle, nombre de réformistes ou d’intellectuels musulmans s’efforcent de présenter la jizya sous un jour plus favorable. Il s’agirait là soutiennent-ils d’une avancée sociale, d’une mesure de tolérance religieuse, d’une protection physique et morale des minorités religieuses, en somme une mise en œuvre avant l’heure des Droits de l’homme. Mais, au fond, nul ne songe remettre en cause le fondement même de la jizya. L’emprise de l’Islam sur la raison critique est ici patente, le  poids de l’argument scripturaire tout autant, car le Coran aurait bien édicté la jizya en un seul et unique verset dont voici la traduction standard : « Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour Dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation/al–jizya par leurs propres mains, après s’être humiliés.[3] », S9.V29. Ainsi compris, miracle herméneutique, ce verset serait explicite, et nous ajouterons qu’il en est de même pour celui qui le lit en arabe. Par l’institutionnalisation de la jizya est ainsi exprimée sans détour la domination, la violence politique normative que toute religion exerce sur l’autre, ce non-soi, qui impur, qui  non-civilisé, qui humilié, un sous-être en somme.

 

• Que dit le Coran

En premier lieu, nous présenterons donc la traduction littérale de ce verset-clef :     « Et combattez ceux [les polythéistes] qui ne croient ni en Dieu ni au Jour Dernier et qui ne respectent point/lâ yuarrimûna ce que Dieu et Son prophète ont tenu pour sacré/arrama, ainsi que ceux qui ne sont pas fidèles à la coutume véritable/dîn al–aqq parmi ceux qui ont reçu le Livre jusqu’à ce qu’ils versent le tribut de capitulation/al–jizya de leurs propres mains et qu’ils soient ainsi humiliés. », S9.V29. D’emblée, quelques essentielles différences apparaissent d’avec la traduction selon l’interprétation faite par l’Islam précédemment mentionnée. L’Analyse littérale que pour plus de clarté nous allons mener segment-clef par segment-clef les justifiera. En premier lieu, il convient de garder à l’esprit que toute la surinterprétation de ce verset par l’Islam repose sur l’affirmation forcée suivante : la totalité de ce verset concerne le sort et le statut les Gens du Livre, juifs et chrétiens principalement.

– Du point de vue de l’Analyse lexicale nous signalerons que ce verset possède la particularité rare de contenir trois hapax[4] : 1- la locution lâ yuarrimûna mâ arrama–llâhu wa rasûlu-hu[5] ; 2- l’emploi du verbe dâna conjugué, racine verbale à l’origine d’une partie des sens du mot dîn ; 3- la mention du terme jizya. Cette situation lexicale est très favorable à la surinterprétation exégétique et nous le vérifierons au fur et à mesure de l’analyse de ce verset.

– Du point de vue de l’Analyse contextuelle ce verset s’inscrit dans les suites d’un seul et unique sujet mis en jeu depuis le début de cette sourate IX : la violation du traité de non-agression contracté par le Prophète et les polythéistes à Ḥudaybiyya. La rupture unilatérale de cette trêve de la part des polythéistes justifie consécutivement que le Coran ait indiqué à Muhammad qu’il n’était dès lors plus tenu par l’engagement qu’il avait ainsi contracté. Par ailleurs, le traitement par cette sourate de cette problématique s’étend plus largement et l’on peut constater par exemple, comme l’indique l’interdiction d’accès au Temple sacré/al–masjid al–arâm faite aux polythéistes à partir de l’année suivante, que le v28 fait référence à la prise de La Mecque en l’an VIII hégirien.[6]

– Premier segment : « et combattez ceux [les polythéistes]  ». Contextuellement, comme nous venons de le signaler il n’y a aucune difficulté à comprendre que le fait de combattre vise spécifiquement les polythéistes/mushrikîn qui ont rompu le pacte de non-agression qu’ils avaient passé avec le Prophète. Il s’agit donc d’une réponse à une agression physique confirmant aux musulmans qu’ils sont en droit de ne plus respecter ledit traité et qu’ils doivent riposter à l’agresseur transgresseur. Aussi, l’ordre « combattez » est-il strictement circonstancié et ne concerne-t-il que ces polythéistes-là, d’où notre « et combattez ceux [les polythéistes]  », cet impératif est donc limité et sans aucune portée générale. Lorsque l’Exégèse voit là l’ordre divin de combattre de principe les Gens du Livre, il ne s’agit là que d’une surinterprétation hors-texte destinée à justifier à la fois l’expansion de l’empire califal et la taxation des populations ainsi soumises.

– Deuxième segment : « qui ne croient ni en Dieu ni au Jour Dernier ». Contextuellement, ce complément de phrase qualifie à l’évidence lesdits polythéistes ayant rompu le pacte de non-agression. Ceci confirme que l’ordre de combattre ne concerne pas les Gens du Livre, mais bien les polythéistes. Du reste, qui seraient donc ces juifs et chrétiens qui « qui ne croient ni en Dieu ni au Jour Dernier » ?! En soi, ce procès d’intention est dénué de fondement coranique et de la plus élémentaire connaissance de leurs religions, car s’il y avait une chose que partageait à cette époque ces trois religions monothéistes c’est bien la croyance en Dieu et au Jour Dernier  ! De plus, si l’on admettait que tel était l’argument justifiant que l’on doive combattre éternellement les Gens du Livre, il serait alors logiquement attendu que cette coercition ait pour but de les amener à croire juste. Cependant, cette guerre pour la foi aurait pourtant visiblement pour objectif, non pas la conversion, mais seulement à ce que les Gens du Livre une fois vaincus « versent la capitation/al–jizya» ! Cette contradiction patente aurait donc la conséquence suivante : verser aux musulmans un impôt personnel revient à croire en Dieu et Son prophète !

– Troisième segment : « et qui ne respectent point/lâ yuarrimûna ce que Dieu et Son prophète ont tenu pour sacré/arrama ». De prime abord, notre traduction diffère de celle classiquement proposée, pour rappel : « qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit ». Or, d’une part, il n’ y a aucune logique à reprocher aux Gens du Livre de ne pas interdire ce que l’Islam interdit. D’autre part, comme précédemment, plutôt que d’exiger d’eux à ce qu’ils se conforment aux interdits de l’Islam, la seule finalité proposée est une sorte de passe-droit financier, la jizya, les dédouanant de ce que pourtant en tant que motif de guerre aurait dû leur être imposé : respecter à leur tour les interdits de l’Islam puisque l’Islam prétend que leur religion est le rétablissement de leurs véritables lois. Ce faisant, en ces conditions, les dhimmî ne sont plus des protégés de l’Islam, mais ceux qui cherchent par le biais de la jizya à se protéger du combat théologique orchestré par les musulmans ! Par ailleurs, un tel reproche ne fait pas non plus sens concernant les polythéistes, puisque jusqu’à présent c’est bien d’eux qu’il s’agit, car par définition les polythéistes n’ont pas à suivre les règles édictées par Dieu et Son prophète, et cela ne peut donc leur être reproché au point de les combattre. De plus, à bien examiner les nombreuses critiques sur ce thème adressées aux polythéistes dans le Coran, l’on constate qu’en réalité c’est pour l’inverse qu’ils sont blâmés, à savoir : s’interdire ce que Dieu n’a pas interdit.[7]

En dehors de ces ingérables contradictions, ce segment fait sans aucune difficulté directement sens dès lors qu’on le comprend contextuellement, c’est-à-dire dans le cadre de la rupture du traité de non-agression de Ḥudaybiyya par les polythéistes. Selon cette logique littérale, le verbe arrama ici employé à deux reprises ne peut être compris qu’en fonction de sa première ligne de sens : rendre sacré, inviolable et, par extension : respecter, honorer et non pas comme signifiant interdire ou, pire, rendre illicite.[8] Il est alors contextuellement cohérent que nous entendions ce segment comme suit : « [combattez ces polythéistes ] qui ne respectent point/lâ yuarrimûna ce que Dieu et Son prophète ont tenu pour sacré/arrama », c’est-à-dire ledit traité de Ḥudaybiyya. De plus, est ainsi expliqué que « Dieu et Son prophète »  soient conjointement sujet du verbe ḥarrama, puisqu’il est dit des engagements pris par le Prophète [et les musulmans à son égard] que « la main de Dieu est au-dessus des leurs », S48.V10.

– Quatrième segment : « ainsi que ceux qui ne sont pas fidèles à la coutume véritable/dîn al–ḥaqq parmi ceux qui ont reçu le Livre ». Rappelons que l’exégèse impérialiste califale toute à son œuvre le comprend comme suit : « et qui ne professent pas la religion de la vérité/dîn al–ḥaqq, parmi ceux qui ont reçu le Livre ». Or, quelque soit le sens donné à la locution-clef dîn al–ḥaqq, l’on constate que notre segment ne concerne pas tous les Gens du Livre/ceux qui ont reçu le Livre, mais certains seulement puisqu’il est dit « parmi ceux qui ont reçu le Livre ». Notons que la différence introduite par l’emploi de la préposition restrictive « min/parmi » est ici essentielle. Il ne s’agit donc pas de combattre tous les Gens du Livre, mais seulement certains parmi eux. À elle seule, cette observation sémantique suffirait à invalider l’interprétation classique de ce verset qui se veut concerner tous les Gens du Livre. D’autre part, si l’on suit l’interprétation officielle, étant entendu que selon elle cette « religion de la vérité/dîn al–ḥaqq » ne peut être que l’Islam, il est alors très étonnant d’affirmer qu’à contrario certains parmi les Gens du Livre suivraient l’Islam, parce qu’en ce cas il aurait fallu les nommer musulmans ! De même, selon ce raisonnement, le texte aurait dû mentionner « combattez-les…jusqu’à ce qu’ils professent la religion de la vérité », ce qui n’est manifestement pas le cas. Enfin, comme précédemment, comment admettre que combattre l’égaré pour le mener à la vraie religion devrait se solder par une taxe, sous forme de droit acquitté permettant de rester dans l’erreur ? Ne serait-ce pas une taxe contre la vérité !

Du point de vue de l’analyse littérale, l’on note, comme nous l’avons signalé, la présence du deuxième hapax de notre verset : l’emploi du verbe dâna/yadînûna. Pour en saisir la signification, nous devons observer que le texte comporte une rupture de construction puisqu’il n’est manifestement plus fait allusion aux agissements de certains polythéistes, mais à celui de certains « parmi ceux qui ont reçu le Livre ».[9]  Selon la norme de l’arabe coranique, il n’est alors pas nécessaire de répéter l’impératif « combattez » qui, de la sorte, est sous-entendu : « et combattez aussi ceux qui parmi les Gens du Livre ». Ce constat littéral et la construction syntaxique précise de ce verset impliquent donc que le motif justifiant de combattre les polythéistes et certains « parmi ceux qui ont reçu le Livre » soit le même et nous l’avons contextuellement clairement identifié  : le non-respect d’un traité de non-agression. Ainsi, le verbe dâna/yadînûna se comprend-il sans difficulté conformément à un de ses sens bien connus comme signifiant être loyal, fidèle à, d’où pour wa lâ yadînûna : ceux « qui ne sont pas fidèles ». Comme nous l’avons montré le problème ne peut pas être ici religieux ou théologique et, en ces conditions, le terme dîn dans la locution dîn al–aqq doit se comprendre relativement à l’engagement dudit traité de non-agression. Parmi les très nombreuses significations du terme dîn,[10]  il convient donc de retenir : coutume, tradition, c’est-à-dire en l’occurrence la tradition qui ordonnait le respect des traités et des accords imposé par « la coutume véritable/dîn al–ḥaqq ». Dans les faits, si le traité de Ḥudaybiyya avait été signé à proprement parler que par Quraysh, cette trêve supposait selon « la coutume véritable/dîn al–ḥaqq » qu’elle soit aussi respectée par toutes les tribus arabes alliées, qu’elles soient polythéistes, juives ou chrétiennes. Ceci explique que l’ensemble de ces acteurs soient conjoints en notre v29 et qu’il soit logique de combattre tous ceux n’ayant pas respecté ledit traité. Il est donc précisé en l’occurrence que certains « parmi ceux qui ont reçu le Livre » avaient rompu ladite trêve ne respectant pas en cela « la coutume véritable/dîn al–ḥaqq ». L’analyse littérale a donc mis en évidence la raison réelle pour laquelle le Coran appelle en ce verset à combattre, d’une part, certains polythéistes et, d’autre part, certains Gens du Livre. Rien en cela qui se puisse comprendre comme une déclaration de guerre permanente contre les Gens du Livre.

– Cinquième et dernier segment : « jusqu’à ce qu’ils versent le tribut de capitulation/al–jizya de leurs propres mains et qu’ils soient ainsi humiliés ». l’objectif visé par l’Islam est censé être ici exprimé, d’où la compréhension-traduction classique que nous rappelons : « jusqu’à ce qu’ils versent la capitation/al–jizya par leurs propres mains, après s’être humiliés ». Selon la logique exégétique quant à ce verset, dont nous avons montré l’incohérence, ceci concernerait donc les Gens du Livre qui, sous domination des musulmans, seraient astreints à payer la jizya, c’est-à-dire en ce cas une taxe par tête ou capitation. Comme nous le constatons, la différence principale entre ces deux propositions repose sur le sens à donner au troisième et dernier hapax de ce verset : le terme jizya, ce qui impose son Analyse lexicale. Les orientalistes sont partagés quant à son origine,[11] mais les philologues arabes font dériver jizya de la racine jazâ/rétribuer, ce terme aurait ainsi le sens de rétribution en compensation de la vie sauve et de la protection. En ce cas, la jizya correspond au tribut[12] que devait payer la tribu vaincue à ses vainqueurs en signe de soumission et dedépendance, pratique courante dans le monde bédouin et jusqu’aux guerres modernes. La jizya n’est donc pas un impôt de « capitation », mais « tribut de capitulation ».[13] Selon l’étude que nous venons de réaliser des divers segments informatifs de ce verset, cette compréhension de la jizya est parfaitement logique : qu’il s’agisse de polythéistes ayant rompu le traité de non-agression envers Muhammad, ou de tribus arabes, polythéistes, juives ou chrétiennes l’ayant rompu par solidarité d’alliance, l’objectif de ce verset est, répétons-le, de délier les musulmans de leurs engagements et de les inciter à combattre ces transgresseurs jusqu’à ce que cesse leur agression, c’est-à-dire qu’ils soient vaincus. Selon les règles en usage, les vaincus en signe de soumission à leurs vainqueurs seront donc dans l’obligation de leur verser un tribut/jizya, d’où pour notre segment final : « jusqu’à ce qu’ils versent le tribut de capitulation/al–jizya de leurs propres mains[14] et qu’ils soient ainsi humiliés ». Il va donc de soi que « le tribut de capitulation » dit jizya était à payer une seule fois, au moment où les vaincus transgresseurs du pacte de non-agression se soumettaient aux vainqueurs musulmans, ce qui est sans rapport avec la taxation annuelle que l’Islam a nommée jizya. Plus encore, tant l’analyse contextuelle que littérale indique que ce verset ne peut s’appliquer que pour l’évènement auquel il fait référence : le non-respect du pacte de Ḥudaybiyya par les polythéistes et certaines tribus juives ou chrétiennes. L’on mesure alors l’importance des manipulations exégétiques dont a fait l’objet ce v29 afin de l’asservir à la volonté politique et à la logique d’exploitation financière mises en place bien après le Coran par le pouvoir califal impérial.

En résumé, le Sens littéral de ce verset est le suivant : « Et combattez ceux [les polythéistes qui ont rompu la trêve de Ḥudaybiyya, eux ] qui ne croient ni en Dieu ni au Jour Dernier et qui ne respectent point/lâ yuarrimûna ce que Dieu et Son prophète ont tenu pour sacré/ḥarrama [c.-à-d. ledit traité de Ḥudaybiyya] ainsi que ceux qui ne sont pas fidèles à la coutume véritable/dîn al–ḥaqq parmi ceux qui ont reçu le Livre [c.-à-d. les factions alliées juives et chrétiennes qui ont elles aussi rompu ce pacte] jusqu’à ce qu’ils versent [une fois que vous les avez vaincus] le tribut de capitulation/al–jizya de leurs propres mains et qu’ils soient ainsi humiliés [15] [par la défaite et le tribut de capitulation]. », S9.V29.

 

Conclusion

L’Analyse littérale de ce verset aura montré que la jizya dans le Coran n’est en rien une taxe de capitation annuelle imposée institutionnellement aux Gens du Livre vivants sous la domination des musulmans. Selon le Coran, la jizya est le tribut de capitulation que les transgresseurs d’un traité de non-agression doivent payer lorsqu’ils sont vaincus par les musulmans qu’ils avaient préalablement agressés. De plus, tout porte à croire contextuellement que ce verset est strictement circonstancié et ne concerne réellement que la rupture du pacte dit de Ḥudaybiyya par les polythéistes arabes et certaines tribus alliées juives et chrétiennes, arabes de même. Littéralement, rien n’indique donc que ce verset prône une guerre ouverte et permanente à l’égard des Gens du Livre jusqu’à ce qu’ils soient dominés par les musulmans. Rien n’indique non plus que ces minorités religieuses, vivant alors sous l’autorité des musulmans, aient à être discriminées du fait de leur religion par le statut de dhimmî/protégés et qu’ils soient dans l’obligation pour se protéger de la violence d’État de s’acquitter d’une compensation financière dite jizya.

Enfin, contrairement à la théologie de guerre instituée par l’Islam, le Sens littéral de ce verset maintient la cohérence intratextuelle du Coran au regard des nombreux versets en lien avec le respect de toutes les religions. Citons notamment, et conformément à la signification que l’exégèse classique leur confère : « Pas de contrainte en religion… », S2.V256 ; « à chacun d’entre vous, Nous avons assigné une voie générale et un chemin spécifique…», S5.V48 ; « En vérité, ceux qui croient : les judaïsés, les chrétiens et les sabéens, qui croit en Dieu et au Jour Dernier et œuvre en bien, ceux-là auront leur récompense auprès de leur Seigneur…», S2.V62 ; « qui aura œuvré en bien, homme ou femme, en tant que croyant, ce sont ceux-là qui entreront au Paradis… », S4.V124 : « Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté… », S16.V93 ; « Tu n’as pas à guider les hommes… », S2.V272 ; « … le plus noble des hommes aux yeux de Dieu est le plus pieux… », S49.V13. Selon cette logique profonde d’ouverture religieuse coranique, le « jihad » ne peut être autorisé qu’en réponse à une agression militaire, citons : « Permission est donnée de combattre à ceux qui sont attaqués de se défendre… », S22.V39, et aussi S2.V190 ; S2.V194 ; S8.V39 ; S8.V61 ; S60.V8.[16] Il n’est donc pas étonnant que nombre d’exégètes au service de la conquête impériale islamique aient déclaré que notre v29 tel qu’ils l’interprétaient abrogeait toutes les dispositions coraniques antérieures en la matière, détruisant ainsi systématiquement la lettre et l’esprit du Coran.

Telle que l’Islam l’a conçue, l’idée même de jizya porte en elle les germes de la ségrégation, de l’exclusive et du suprématisme, le poison doux-amer d’une intolérable tolérance basée sur la discrimination et l’humiliation. Les musulmans n’ont pas à être les nouvelles victimes de l’Islam, pris en otage par des conceptions politico-religieuses d’un autre temps élaborées au service du pouvoir califal, mais contre le message universel d’ouverture et de acceptation interreligieuse du Coran.[17] Nous l’avons démontré, le Coran n’est pas coupable de l’ignominie de la jizya islamique, le Coran appelle au respect, à la dignité commune partagée, à l’harmonie d’un savoir-vivre humaniste.

Dr al Ajamî

 

[1] C’est-à-dire taxe imposée pour chaque tête, per capita, ce qui la différencie en principe du kharâj, impôt perçu sur la terre et acquitté collectivement.

[2] D’un point de vue historico-critique cette taxation des « Gens du Livre » vivant en terres d’islams a été plus vraisemblablement mise en place sous le califat omeyyade que sous l’autorité du fameux « pacte dit de ‘Umar ». De plus, cette jizya n’a connu sa forme définitive de taxe d’assujettissement qu’en la période abbasside, imposant alors de fait le statut de dhimmî. À partir de ces données historiques vérifiables, l’on pourrait en déduire directement que la notion de jizya est bien postérieure au Coran et qu’il ne s’agit là que d’une interprétation asservie aux besoins de l’Empire islamique ayant de plus en plus de populations chrétiennes et juives sous sa domination. .

[3] Le segment « après s’être humiliés » tel que le comprend l’exégèse dans sa logique dominatrice est représentatif de l’état d’esprit présidant à l’institution de la jizya selon l’Islam. Ainsi, au gré des circonstances et des époques la notion d’humiliation nécessaire du dhimmî a permis aux juristes de l’Islam d’édicter de nombreuses règles de vexation pour les populations “dhimmî” soumises au paiement de la jizya islamique. Citons : le fait de porter des habits distinctifs et l’interdiction conjointe de revêtir des habits tels que ceux portés par les musulmans, comme le turban par exemple ; obligation de descendre de sa monture pour un dhimmî lorsqu’il croise un musulman ; payer personnellement la jyzya, debout, tête basse, et recevoir une ou deux tapes sur la nuque en signe d’humiliation, etc.

[4] Par hapax l’on entend un terme ou une locution dont l’emploi n’est relevé qu’une seule fois en un corpus donné, ici le Coran.

[5] Il s’agit bien d’un hapax, car dans l’ensemble des autres occurrences du verbe ḥarrama seul Dieu en est sujet alors qu’ici il semblerait que Muhammad le soit aussi. Pour comprendre en quoi seul Dieu peut être le sujet du verbe ḥarrrama, voir la série d’articles consacrée à la question du haram : 1- Le haram : le sacré selon le Coran ; 2– Le haram : les tabous selon le Coran et en Islam, S6.V145 ; 3– Le haram : les interdits moraux selon le Coran, S6.V151 ; S7.V33 ; 4– Le “haram” selon le Coran : synthèse ; 5 – Le halal selon le Coran et en Islam, S2.V168 ; S16.V114 ;  S5.V88 ; S16.V116 ; S10.V59 ; S5.V87.

[6] Signalons que cette interdiction coranique du v28 ne concerne in texto que les polythéistes et qu’elle ne vise que l’accès au Temple de La Mecque, ce qui leur autorise la possibilité d’accomplir le pèlerinage de Arafat par exemple.

[7] Cf. S5.V103 ; S6.V138 ; S6.V140 ; S10.V59 ; S42.V20-21. Voir tout particulièrement 2– Le haram : les tabous selon le Coran et en Islam, S6.V145 V145.

[8] Ce que secondairement et sous l’influence du Droit canon musulman que ce verbe signifia rendre illicite. Pour l’analyse étymologique et lexicale de ḥarrama nous renvoyons aux articles 2– Le haram : les tabous selon le Coran et en Islam, S6.V145 ; 3– Le haram : les interdits moraux selon le Coran, S6.V151 ; S7.V33. Par ailleurs, contrairement à la position soutenue par le Droit canon musulman, le « ḥarâm » dans le Coran n’est l’apanage que de Dieu et jamais de son Prophète. Seul Dieu décide de ce qui est sacré/ḥarâm et les hommes, y compris le Prophète, n’ont pas à s’arroger cette prérogative. Pour l’analyse étymologique et lexicale de ḥarrama nous renvoyons aux articles 2– Le haram : les tabous selon le Coran et en Islam, S6.V145 ; 3– Le haram : les interdits moraux selon le Coran, S6.V151 ; S7.V33.

[9] Dans le Coran le qualificatif Gens du Livre concerne a minima les juifs, les chrétiens, les sabéens et les zoroastriens, ceci se déduit directement de S2.V62 ; S5.V69 ; S22.V17. Mais nous allons voir qu’il est présentement possible de réduire cette liste aux seuls juifs et chrétiens.

[10] Sur les très nombreuse signification du terme-clef dîn voir notre thèse mise à disposition sur ce site [Onglet ouvrages] : Analyse Littérale des termes dîn et islâm dans le Coran. Dépassement spirituel du religieux et nouvelles perspectives exégétiques ; 1. Étude lexicale du terme dîn p.114

[11] Ils retiennent avec incertitude une origine araméo-syriaque : gzîthâ, mot lui-même très vraisemblablement emprunté au pehlevi gazidag, vocable qui sous les sassanides désignait une taxe par tête. La domination perse sur l’Arabie du Sud est bien établie et ces lexicologues supposent que ce mot ait pu transiter vers l’arabe hedjazien via le sudarabique. Cependant, et bien que l’origine arabe du terme jizya soit plus probable, il est très vraisemblable que ce soient cette para-synonymie et l’existence de cette gazidag/taxe par tête qui expliquent que les exégètes musulmans aient retenu notre v29 comme verset candidat apte à pouvoir exprimer ce que le pouvoir recherchait : une taxation des populations non-musulmanes conquises par l’Islam.

[12] Il n’est pas inintéressant de noter l’étymologie du mot tribut, terme dérivant du latin classique tributum avec le sens premier de « répartir entre les tribus ».

[13] Du point de vue étymologique, l’on peut donc supposer que le terme jizya ait eu à l’origine le sens de tribut en fonction de la racine arabe jazâ puis que lorsque l’Islam post-coranique en fit une taxe de capitation à appliquer aux Gens du Livre il prit fonction et sens empruntés au gazidag sassanide.

[14] Il existe une ancienne discussion exégétique sur les trois significations que peut prendre la locution ‘an yadin : immédiatement, à titre de grâce, du fruit du travail de leurs mains. En raison de résultat de sens littéral, cette casuistique sémantique n’a pas lieu d’être, nous la conservons donc littéralement :  « de leurs propres mains ».

[15] Le segment « et qu’ils soient ainsi humiliés » tel que l’analyse littérale le met en évidence indique l’humiliation de la défaite dont le versement du tribut de capitation/jizya faisait partie selon les usages de la guerre en ces temps-là. Voir la note 3 pour comparer avec l’interprétation de ce segment par l’Islam.

[16] Sur la définition coranique strictement limitée du jihad, voir notre ouvrage disponible sur ce site « Que dit vraiment le Coran » : Jihâd.

[17] Sur ce sujet, voir notamment : La pluralité religieuse selon le Coran et en Islam ; Le Salut universel selon le Coran et en Islam ; L’amour de Dieu selon le Coran et en Islam, l’Amour universel.