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La Loi divine selon le Coran et en Islam

Nous avons vu que pour la seule occurrence coranique du terme sharî‘a/الشَّرِيعَة il ne s’agissait pas de désigner la Charia et que le Coran n’était pas une Loi, mais une Voie.[1] Pour le Coran, la Charia est une voie éthique et morale non contraignante. Par suite, nous avons démontré que le concept de Législation coranique était le fruit d’une surinterprétation dirigée par l’Islam pour fournir prétendument un fondement coranique à l’élaboration du Droit islamique/fiqh.[2] En ces conditions, la notion de Loi divine, les lois que Dieu aurait édictées dans le Coran, ne peut à priori être coranique, nous le vérifierons donc. Pour autant, la Loi divine peuple l’imaginaire des musulmans, à la fois menaçante et rassurante. Rassurante, parce que semblant offrir refuge contre la loi des hommes, menaçante, car tel un glaive divin elle peut s’abattre avec rigueur. Rassurante, parce qu’en réalité loin des hommes, menaçante quant la réalité la fait sienne et que les musulmans en sont les premières victimes. Rassurante, car elle dépasserait l’arbitraire humain, menaçante, car elle donne aux législateurs musulmans un droit d’origine divine et que lorsque les hommes s’arrogent le moindre pouvoir au nom de Dieu, c’est l’inhumain qui tout emporte.

 

• Que dit l’Islam

En Islam, la notion de Loi divine est à vrai dire un concept flou englobant en une confusion “savamment” certaine la Charia, la Législation coranique et le Droit islamique. Si le contenu de cette Loi islamique est à géométrie variable en fonction des critères d’élaboration, du temps, des enjeux de pouvoir et de l’influence des ulémas, il y a-t-il pour autant une Loi révélée ? Si une telle loi divine existait, elle ne pourrait donc être exprimée que par le Coran seul pris en tant que Parole de Dieu, ici l’unique Législateur. Or, trois sources complémentaires sont depuis les 2 et 3e siècles de l’Hégire utilisées de manière constante pour alimenter l’importante production du Droit islamique : La Sunna, le Consensus des doctes/ijmâ‘a, le raisonnement par analogie/qiyâs. En soi, cela indique clairement que la Loi divine était selon les juristes eux-mêmes insuffisante à couvrir les besoins de la société, fût-elle de la Haute antiquité. Or, si Loi divine il y avait, du fait même de la Perfection divine et de sa Science absolue, l’on devrait admettre que ce que Dieu en aurait révélé par le Coran serait de principe suffisant et complet, ne nécessitant pas que les hommes aient à mêler l’eau pure de la Révélation du vin de leurs passions. Aussi, en toute logique, soit la Loi divine est contenue tout entière dans le Coran et alors aucune autre législation ne peut-y être ajoutée, soit si pour légiférer la vie des hommes d’autres lois ont dû être élaborées, alors la Loi divine n’est pas une réalité coranique.

 

• Que dit le Coran

– Premièrement, et il faut le souligner, l’on ne trouve aucun verset qui dans le Coran indiquerait qu’il y ait une loi divine à suivre et respecter. Les expressions loi divine ou loi révélée ne sont pas coraniques et nous avons vu que l’unique mention du mot sharî‘a dans le Coran est sans rapport avec l’usage islamique de ce terme.

– Deuxièmement, afin de comprendre le sujet, il convient de déterminer ce que sont les objectifs du Coran. Les quatre grands principes exposés ci-après font consensus :

1 – Le Coran envisage essentiellement la relation de Dieu et de l’homme, ex. : « Ô Hommes ! Adorez votre Seigneur, Lui qui vous a créés ainsi que ceux qui vous ont précédés ; puissiez-vous pieusement craindre ! Lui qui pour vous fit de la terre un tapis et du ciel un baldaquin, qui fit pleuvoir du ciel une eau par laquelle Il produit les fruits de votre subsistance. Ne donnez donc point à Dieu de rivaux, alors que vous savez ! »[3]

2 – Le Coran est principalement un guide moral, un éducateur de l’Homme, esprit et âme. Une part importante du texte coranique est donc consacrée au rappel des valeurs éthiques essentielles. Ex. : « Dieu ordonne la justice, la bienfaisance, la générosité envers les proches et Il interdit les turpitudes, le mal et l’iniquité. À cela Il vous exhorte, puissiez-vous vous en rappeler ! »[4]

3 – Le Coran aborde aussi de manière marginale le volet cultuel. Mais il n’expose que les caractéristiques générales des principaux rituels : la Prière, le Jeûne, le Pèlerinage, ex. : « Accomplis la prière aux deux extrémités du jour et aux abords de la nuit ; certes les bonnes actions repoussent les mauvaises… »[5]

À l’évidence, ces trois aspects sont dans et pour le Coran les plus importants quantitativement et qualitativement et ils ne relèvent pas du législatif, de la loi, mais de la conscience individuelle, foi et éthique. Domaines pour lesquels le libre arbitre est le principe coranique, voir : Destin et Libre arbitre.

4 – Enfin, le Coran envisage un certain nombre de prescriptions relatives aux relations sociales. Le catalogue est assez éclectique et aborde des sujets que l’on pourrait considérer comme relevant du droit civil, du statut personnel, du pénal, des contrats financiers, etc. Ex. « Ô vous qui croyez ! Lorsque vous contractez une dette à terme échu, mettez-la par écrit… »[6]

Ainsi, il y aurait de prime abord dans le Coran environ 70 versets que l’Islam lui-même a qualifiés de législatifs, soit un peu moins de 1% du Coran. Pour l’essentiel, les seuls thèmes qui soient détaillés ont trait aux relations conjugales et à l’héritage. La raison en est simple et évidente : la situation des femmes en Arabie était telle qu’il y avait urgence à définir et garantir avec précision des droits aux femmes. Le Coran corrigera prioritairement la barbarie des temps antéislamiques, ex. : Les femmes selon la coutume bédouine étaient assimilées à des biens de propriété, le Coran dit alors : « …il ne vous est pas permis de recevoir en héritage des femmes de force malgré elles… »[7] Concernant le meurtre de nouveau-nées, nous lisons : « Lorsqu’on demandera à l’enterrée vive pour quel crime aurait-elle été tuée ! »[8] Puis, le Coran édictera quelques autres mesures essentielles : versets relatifs au mariage, aux droits de l’épouse et du mari, aux modalités du divorce, à la pension alimentaire, à la garde des enfants, aux orphelins, etc.

C’est tout particulièrement ce type de versets qui du fait de leur  caractère spécifiant et de leur précision textuelle ont permis d’imaginer le concept de “loi divine révélée”. En réalité, et pour être exact, il s’agit là de prescriptions/kitâb au sens de : recommandations précises, comme celles d’un médecin par exemple, lesquelles n’ont pas pour autant de caractère impératif ou obligatoire. Quoi qu’il en soit, comme ces recommandations divines sont limitées en nombre et laissent de nombreux cas de figure en suspens, l’on ne peut considérer qu’elles puissent constituer un corpus législatif coranique. En effet, s’il s’était agi de « la Loi divine », cette Loi aurait dû envisager tous les aspects de la vie des croyants, mais c’est bien loin d’être le cas. Il est du reste aisé de comprendre qu’en si peu de versets, bien des situations concrètes n’ont pu être envisagées. Ceci est si vrai, comme nous l’avons déjà souligné qu’en pratique il a bien fallu que les premières générations de musulmans pallient ce manque et élaborent elles-mêmes les lois, codes, dont elles avaient besoin pour organiser la société musulmane selon leurs conceptions de la société, de la religion et du politique. C’est ce corpus qui fut plus tard nommé Charia ou Loi divine, laquelle n’a donc rien de divin et n’est que la Loi des hommes par eux produite. Ces lois et prescriptions ont été pour la plupart construites à partir de matériaux non coraniques, situation logique puisque tel n’était pas le sujet du Coran.

En soi, le caractère restreint des dispositions coraniques pouvant être assimilées à du juridique ne permet pas de valider l’idée de Législation coranique et, encore moins, d’une Loi divine. De plus, si l’on retenait ce concept, alors cette Loi serait strictement limitée aux quelques points envisagés par la Révélation et nul être humain n’aurait le droit d’y ajouter quoi que ce soit ! Cette Loi n’aurait alors que peu d’intérêt concret et s’opposerait à ce que les hommes puissent organiser leur vie, elle figerait au VIIe siècle la société musulmane sans pour autant pouvoir en contrôler l’évolution. Aussi, l’ensemble de ces données coraniques patiemment inventoriées par les spécialistes musulmans ne fournit-il, de leur propre avis, qu’une plate-forme, des indications générales laissant libre cours aux musulmans d’élaborer les lois nécessaires à l’accompagnement des évolutions de leur société et du Monde. De cette tâche les jurisconsultes se sont acquittés jusqu’à la fin de la période classique, il n’y a donc aucun argument soutenant la thèse d’une Loi divine immuable jusqu’à la fin des temps. Le Droit islamique, le Fiqh, a été élaboré entre le Ier et le IVe siècle de l’Hégire et il couvre les besoins de l’époque tout comme il correspond aux mentalités d’alors. Ainsi, ce Droit continue-t-il logiquement d’évoluer à notre époque, ce qui montre bien son caractère variable alors que, nous l’avons dit, l’idée même d’une loi divine intangible s’opposerait de principe à cette adaptation. Nous pouvons en déduire les faits suivants :

– Si lois coraniques il y avait, elles seraient alors modulables, adaptables aux circonstances ou abrogeables, perdant alors l’attribut d’immuabilité que l’association de termes “Loi divine” leur confère. Si Loi coranique il y avait, il aurait alors fallu que l’homme soit intangible et le temps immobile, à moins que de vouloir tous nous ramener au Moyen-âge et suspendre à nouveau le temps. Les droits coraniques, en toute cohérence, sont à considérer comme une base susceptible d’être amplifiée, mais jamais diminuée, un minimum acquis définitivement.

– Par ailleurs, un fait doit attirer notre attention. Concernant le pénal, le Coran aurait institué des sanctions, des peines corporelles telles l’amputation de la main du voleur ou la lapidation de l’adultère. C’est sans doute cet aspect pénal répressif qui a permis d’entériner la notion de Loi divine. Or, nous avons largement démontré que ces versets sont amplement surinterprétés et, qu’au contraire, l’on avait fabriqué lesdites lois répressives en les légitimant faussement au nom du Coran.[9] En réalité, ces prétendues lois divines ne sont que des mesures voulues par les pouvoirs dominants ayant été en retour imposées au Coran et non pas des règles tirées du texte coranique lui-même. Si à la lecture du Coran nous avons pourtant ou malgré tout l’impression que le Coran prescrit de telles mesures, c’est du fait de l’herméneutique islamique constituée lors de la construction de l’Islam que depuis nous ne lisons plus le Coran pour et par lui-même, mais de par la force interprétante de l’Islam.

 

Conclusion

À bien comprendre ce qui précède, il convient de souligner les points suivants : « Loi divine » ou ses pseudo synonymes « Loi révélée » et « Loi coranique » sont des expressions non-coraniques. Le Coran n’est pas un code de loi civil ou pénal, un guide administratif, il n’a pour but que de guider les hommes au Salut, d’édifier les cœurs et de purifier les âmes. Il ne mentionne en rien la thèse d’une Loi divine ou d’une Charia chargées de diriger la vie de l’homme sous tous ses aspects, cette vision totalitaire est totalement à l’opposé de l’esprit et de la lettre coraniques.

Le Coran n’édicte pas des lois, mais donne des droits ; notamment aux plus démunis, la femme, l’esclave, l’enfant, les minorités. Un droit, fût-il coranique, n’est pas Loi, une loi est par définition modifiable, un droit est par essence inaliénable. Les droits attribués à “l’Homme” par le Coran sont essentiels, fondamentaux. Pour la plupart, ces droits coraniques ne correspondent pas aux développements jurisprudentiels du Droit islamique qui a eu au contraire tendance à s’en éloigner et à les adapter aux besoins et mentalités propres aux premiers siècles post-hégiriens, notamment concernant le statut de la femme. Cet éloignement du Coran et cette adaptation juridique de l’Islam sont encore à l’œuvre de nos jours, et souvent en fonction de la volonté fascisante d’États contemporains dits islamiques. Au final, si les droits coraniques sont de par leur origine révélée imprescriptibles, le Droit islamique, fruit de la réflexion humaine, est par nature faillible et variable, l’un et l’autre ne doivent pas être confondus sous peine de commettre le pire au nom de Dieu et de ne pouvoir exercer notre raison et notre esprit critique afin de sortir de l’ornière en laquelle nous nous embourbons progressivement.

Dr al Ajamî

 

[1] Cf. La Charia selon le Coran et en Islam.

[2] Cf. La législation coranique selon le Coran et en Islam.

[3] S2.V21-22 :

« يَا أَيُّهَا النَّاسُ اعْبُدُوا رَبَّكُمُ الَّذِي خَلَقَكُمْ وَالَّذِينَ مِنْ قَبْلِكُمْ لَعَلَّكُمْ تَتَّقُونَ (21) الَّذِي جَعَلَ لَكُمُ الْأَرْضَ فِرَاشًا وَالسَّمَاءَ بِنَاءً وَأَنْزَلَ مِنَ السَّمَاءِ مَاءً فَأَخْرَجَ بِهِ مِنَ الثَّمَرَاتِ رِزْقًا لَكُمْ فَلَا تَجْعَلُوا لِلَّهِ أَنْدَادًا وَأَنْتُمْ تَعْلَمُونَ  »

[4] S.16.V90 : « إِنَّ اللَّهَ يَأْمُرُ بِالْعَدْلِ وَالْإِحْسَانِ وَإِيتَاءِ ذِي الْقُرْبَى وَيَنْهَى عَنِ الْفَحْشَاءِ وَالْمُنْكَرِ وَالْبَغْيِ يَعِظُكُمْ لَعَلَّكُمْ تَذَكَّرُونَ »

[5] S11.V114 : « …وَأَقِمِ الصَّلَاةَ طَرَفَيِ النَّهَارِ وَزُلَفًا مِنَ اللَّيْلِ إِنَّ الْحَسَنَاتِ يُذْهِبْنَ السَّيِّئَاتِ » 

[6] S2.V282 : «… يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آَمَنُوا إِذَا تَدَايَنْتُمْ بِدَيْنٍ إِلَى أَجَلٍ مُسَمًّى فَاكْتُبُوهُ »

[7] S4.V19 : «… لَا يَحِلُّ لَكُمْ أَنْ تَرِثُوا النِّسَاءَ كَرْهًا …»

À la mort du mari, n’importe quel homme de la famille pouvait d’autorité s’approprier sa veuve ! Cette tradition archaïque est encore vivace au Yémen et en Afghanistan.

[8] S81.V8-9 : « وَإِذَا الْمَوْءُودَةُ سُئِلَتْ (8) بِأَيِّ ذَنْبٍ قُتِلَتْ »

Il s’agit très vraisemblablement ici d’une condamnation de l’antique coutume antéislamique consistant à enterrer vivantes les nouveaux-nées, la naissance d’une fille étant considérée par les hommes comme infamante ! Cf. S16.V58-59.

[9] Voir en particulier : Couper les mains du voleur selon le Coran et en Islam et Adultère et fornication selon le Coran et en Islam.