Au delà de la composition établie du Coran établie en 114 sourates et 6236 versets selon la recension Ḥafs, il est primordial de définir le Coran afin d’en dégager le fil directeur, sa ligne de sens principale, son Message : la réforme monothéiste. Non point la réforme des religions monothéistes, mais une remise à plat dogmatique critiquant et expliquant les mécanismes des déviations : le polythéisme, le dualisme, l’anthropomorphisme, l’immanentisme ou, à l’opposé, un Dieu que l’absoluité exclurait du Monde. La voie théologique générale/shir‘a [1] tracée par le Coran est claire : un monothéisme absolu, un Dieu unique sans hypostase ni comparaison aucune, transcendant, seul créateur et administrateur du monde, et seul Maître du Jour du Jugement, sans intercession.[2] Cette théologie n’est réellement ni celle du judaïsme ni celle du christianisme. Ce pur monothéisme coranique fut, en germe et principes, programmé pour révolutionner ces antiques religions, ouvrant par sa puissance dogmatique l’espace à une remise en question totale des théologies politiquement et scolastiquement en vigueur.
De ce fait, le Coran n’avait pas pour mission principale d’apporter une nouvelle religion, mais de remettre en cause de manière essentielle les fondements de l’ensemble des religions existantes, monothéistes ou non. Après ce surgissement monothéiste réformateur, ce n’est que le flux de l’Histoire qui permit l’apparition d’une religion qui, tirant origine peu ou prou, des linéaments coraniques, devint un siècle plus tard l’Islam. L’objectif du Coran était principalement de délivrer un message libérateur réinscrivant Dieu et l’Homme en une nouvelle dynamique relationnelle non asservie aux différents carcans confessionnels. Pour le Coran, le concept désigné par le terme-clef islâm définit l’islam-relation [3] en tant que plein abandon de l’être à Dieu en une perspective purement éthique et spirituelle, une École de l’âme et du bien. De ce point de vue, la construction historique de l’Islam a fonctionné contre le souffle coranique en élaborant l’islam-religion, un cadre restrictif bâti à partir des quelques indications rituelles du Coran et que l’on nomma l’Islam.[4]
Depuis plus de mille ans, que l’on soit musulman ou pas, le Coran est lu en fonction de ce que le temps et les hommes ont généré, c’est-à-dire le point de vue de l’Islam, et non plus selon son Message originel. Cette boucle herméneutique islamique est la matrice de l’ensemble des lectures proposées, le Coran est ainsi devenu le reflet des interprétations nées de la construction des divers islams-religions et des réactions qu’ils suscitèrent. Aussi, n’est-ce plus le Coran qui nourrit la réflexion, mais les certitudes postérieures formant l’Islam qui aliment le lecteur. Le texte coranique est ainsi devenu le miroir de nos convictions, voire le prétexte de nos intentions. C’est alors l’Islam qui nous permet de comprendre le Coran, c’est l’Islam qui s’exprime par la bouche du Coran, non le Coran par lui-même et tel qu’en lui-même.
Pour parvenir au texte coranique, il est donc absolument nécessaire de rompre ce cercle herméneutique desséchant et, ainsi, retrouver la vitalité fécondante du Message fondateur. Pour ce faire, nous proposons une méthodologie probante, l’Analyse Littérale du Coran, un ensemble d’outils de lecture permettant de dégager le sens initial ou Sens littéral du Coran, sens devenu imperceptible, car enfoui sous les sédiments des diverses strates exégétiques au service de la construction de l’Islam. Notre travail n’est qu’un mouvement, une impulsion destinée à ouvrir les esprits et les cœurs à la réécoute du Coran, pour ne plus le lire avec les yeux de l’Islam historique, les yeux morts d’un passé mort, mais l’entendre en sa fraîcheur originelle ; une étape rationnellement conçue qui s’offre subséquemment à la raison critique afin de toujours plus progresser en ce retour à la source.
Dr al Ajamî
[1] Pour le sens de shir‘a dans le Coran, voir : La pluralité religieuse selon le Coran et en Islam.
[2] Pour la critique du concept d’intercession, voir : L’Intercession selon le Coran et en Islam.
[3] Voir : Le terme islâm selon le Coran : l’Islam-relation.
[4] Voir : Le (terme) islâm selon l’Islam : l’Islam-religion. Nous indiquerons présentement que du point de vue des processus historiques d’élaboration, l’Islam en tant que religion fut calqué bien plus qu’on l’imagine sur les modèles l’ayant précédé : en son volet cultuel, sur la Loi juive plus ou moins revisitée et, en son versant théologique, sur une conception dogmatique généralement anti-chrétienne. Cf. Le Coran et l’Islam.