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A propos de la Parution de mon Exégèse Littérale du Coran – Volume 1

J’ai l’honneur et le plaisir de vous annoncer la parution du Volume 1 de mon Exégèse Littérale du Coran. Il s’agit du premier tome de la collection intitulée « À la Lumière du Coran » dont l’objectif, d’ores et déjà atteint, est de réaliser la totalité de l’exégèse du Coran. Ce Volume 1 comprend donc l’analyse littérale de la Fâtiha et celle des versets 1 à 194 de la Sourate 2 : La Génisse. Les autres tomes devraient être publiés à un rythme bimensuel.

Je propose donc à la lecture, l’Introduction à l’Exégèse Littérale du Coran qui ouvre le premier Volume 1 de cette collection. Long texte expliquant de manière systématique les causes, les raisons et les conséquences de ma démarche d’Analyse Littérale du Coran. Je n’ai jamais eu qu’un seul objectif, comprendre le Coran directement tel qu’il s’adresse aux Hommes et non selon ce qu’on lui a fait dire. Après des siècles et des siècles d’interprétations et de surinterprétations, sans doute est-il encore possible et plus que jamais nécessaire pour les croyants comme pour les non-croyants d’entendre la voix initiale du Coran, le Message à l’origine. Au fil de ces décennies, ce fut le but poursuivi, je ne prétends pas l’avoir atteint, mais j’espère tout du moins m’être approché de la vérité textuelle du Coran. Il ne vaut d’être partagé que les rêves raisonnables.

Introduction à l’Exégèse Littérale du Coran

Au commencement, il y eut le Texte/al–kitāb,[1] le Coran que Muhammad avait reçu par voie de révélation et transmis à ses contemporains à titre de Messager/rasūl de Dieu. Ce Message/risāla était oral, il courait sur les lèvres de ceux qui le gravaient patiemment sur le marbre de leur mémoire.[2] Il était récitation/qur’ān : « … il n’est que clairs versets dans le for intérieur de ceux à qui est donné ce savoir… », S29.V49. Il y avait là une urgence : conserver chaque mot révélé au Prophète, et ce fut fait.[3] Toutefois, pour cette première génération d’hommes et de femmes qui s’appliquaient à le mémoriser, une partie seulement du Texte était parfaitement explicite/mubīn. La Révélation percutait leur réalité, elle leur parlait directement bien que manifestement son propos allait bien au-delà. Ils interagissaient alors logiquement avec ce qui du Texte les appelait à mettre en œuvre la réforme de leur propre mode de vie et de pensée, de leurs comportements. En ce sens, certains versets/āyāt[4] les interpellaient et leur servaient de Guidée/hudā. La démarche de ces premiers auditeurs du Coran était individuelle, ils suivaient ce qui entre foi et raison faisait sens pour eux. Ce qui fut prioritairement compris du Message coranique en ce temps-là était par conséquent d’ordre circonstanciel, il ne s’agissait pas d’exégèse.

Au commencement, il y eut le décès de Muhammad. En ce Ier siècle de l’Hégire, les hommes s’entredéchirèrent alors pour le pouvoir, trahissant ainsi et le Prophète et le Coran. La révélation fut brutalement projetée dans l’Histoire, la nôtre. De bonne guerre et de mauvaise raison, chaque camp chercha à se légitimer en brandissant au bout de ses lances des versets du Coran. Pour la première fois, l’on ne reçut plus le message du Coran en tant qu’intervention circonstanciée. Les partisans de chaque faction belligérante se disant croire au Coran y cherchèrent des preuves justifiant leurs agissements. De bonne ou de mauvaise foi, l’on n’entendit plus le Coran nous parler, mais on le fit parler. Il devait nécessairement donner raison au vainqueur et tort au vaincu, et ce fut fait. Le Coran, prisonnier, a ainsi été soumis à la torture jusqu’à ce qu’il avoue. Or, en toute inquisition, le théologien est celui qui instruit à charge le dossier et convoque alors Dieu. C’est ainsi qu’entre la plume et le sabre l’on fit ressurgir des antiques limbes de la théologie chrétienne le concept de Prédestination/al–qaḍā. Sur le terrain, entre soumission au plus fort et refus du pouvoir les ennemis se soumirent ou non à la Toute-Puissance divine. Accepter le Destin, le fait établi, ou lutter en estimant que le destin était entre leurs mains. Qadarites, murji‘ites, kharijites puis, plus tard, ibadites, mutazilites, sunnites et shiites se combattirent à l’ombre du Coran. Les mêmes versets pouvant avoir été interprétés par les uns comme par les autres, pour les uns contre les autres. Ainsi, ce fut dans la douleur que naquit l’exégèse en un berceau tressé de politique et de théologie, une exégèse politico-théologique.

Au commencement, le conflit une fois apaisé, apparurent au début du IIe siècle de l’Hégire les premières Sîra du Prophète. L’on se devait de renouer le lien avec l’origine prophétique en tant que justification de l’Islam en devenir. Il devenait impératif de donner corps à celui qui devait devenir rétroactivement le fondateur de l’Islam-religion : Muhammad, et ce fut fait. Telle était la fonction de ces écrits, le plus connu étant celui de Ibn Hishām selon Ibn Ishāq. Or, en dehors des récits et légendes en circulation qui y furent colligés, ces “biographies” de Muhammad représentent la deuxième forme d’exégèse.
La trame même de ces ouvrages est construite à partir d’interprétations et surinterprétations de nombreux versets coraniques. Mais, comme précédemment, le Coran n’est en cet exercice qu’un pré-texte, un support auquel greffer par superposition l’image réifiée que l’on voulut donner du Prophète et de sa vie en tant que modèle de l’Islam. Il ne s’était donc pas agi de puiser directement à la source à laquelle le Prophète en tant qu’être humain, lui, s’abreuva : le Coran. Cette approche narrative interprétative du texte coranique engendra une circularité si forte qu’il est toujours considéré de nos jours que l’on ne peut comprendre maints versets du Coran qu’à l’aune de la Sîra. Quoi qu’il en soit, naquit ainsi l’exégèse mythologico-interprétative

Au commencement, dès le IIIe siècle de l’Hégire l’exégèse endosse une nouvelle responsabilité : accompagner l’ascension du sunnisme. Éparse et partielle, l’on doit à Tabari à l’aube du IIIe siècle d’avoir systématisé cette exégèse par le biais de son monumental tafsîr. Fait saillant, il ne s’agit pas réellement d’exégèse puisque la méthode suivie s’inscrivit dans la continuité des deux mouvements précédents. Les significations ne sont pas extraites du texte coranique lui-même, mais apportées par des informations, avis, opinions, conceptions, récits, légendes, mythes, etc. À proprement la définir, l’exégèse islamique a toujours été une inségèse, une compréhension des versets à partir de l’apport de matériaux externes divers et multiples, une lecture intertextuelle et extratextuelle. L’on peut à juste titre considérer que cette construction par compilation sur la ligne du texte coranique est la matrice de toutes les exégèses qui suivirent jusqu’à nos jours. Répétée à l’infini, sacralisée, cette approche du texte coranique a été figée dans le temps, la pensée pétrifiée, la compréhension du Coran fossilisée. Plus de mille ans ont passé, cette exégèse théologico-dogmatique et juridico-religieuse est toujours à l’œuvre ; et ce fut la fin.

Cette très brève histoire de l’Exégèse n’a pour autre objectif que d’en fournir une définition fonctionnelle. Quels que soient les exégèses et les matériaux qu’elles emploient, elles conservent toutes les quatre caractéristiques que nous avons mises en évidence. Les exégèses sont donc des constructions mythologico-interprétatives, politico-théologiques, théologico-dogmatiques et juridico-religieuses. C’est cet édifice classique fondé uniquement sur un réseau d’interprétations spéculatives que nous qualifierons désormais globalement d’Exégèse, avec une majuscule.

En ces conditions, tout lecteur désireux d’approfondir sa connaissance du Coran n’aurait d’autre alternative que de le comprendre par le biais de l’Exégèse. Or, ce corpus exégétique, qu’il soit développé ou résumé, n’est rien d’autre qu’une interprétation du Coran. Comme nous l’aurons noté, celle-ci n’est pas le fruit du hasard, mais elle reflète un parcours, elle accompagne l’histoire de la naissance et de la formation de l’Islam. L’Exégèse est en quelque sorte la mise en conformité, non pas du texte coranique, mais de sa compréhension en fonction des impératifs, concepts et besoins que l’Islam nécessita lors de sa propre élaboration. Le Coran est alors la vision de l’Islam et non l’inverse. Nous ne lisons donc pas le Coran par lui-même et en lui-même, mais par l’intermédiaire du prisme diffractif de l’Islam. Nous l’entendons par la bouche des exégètes, des juristes, des prédicateurs qui tous professent le Message de l’Islam et non le Message du Coran. La boucle herméneutique ainsi créée est parfaite, elle nous enserre et nous contraint, nous ne pouvons plus distinguer l’origine de la fin. Le Coran qui aurait dû être l’origine n’est que la finalité de l’Islam. Cette prise de conscience est la première clef permettant de déverrouiller en nos esprits ce Cercle herméneutique.

En ces conditions, il nous faut donc tout d’abord appréhender le phénomène herméneutique qui en nous fusionne le Coran et l’Islam, le propos de ce dernier nous semblant être le propos coranique. Si le Coran n’appartient pas réellement à l’Histoire, l’Islam a quant à lui une histoire. Nonobstant, l’Islam ayant superposé ses significations à celles du Coran, il a ainsi été créé l’illusion que l’Islam aurait existé en même temps que le Coran fut révélé. Ils seraient donc tous deux indissociables et la parole de l’un vaudrait pour celle de l’autre puisque de plus l’Islam serait aussi prétendument un enseignement du prophète Muhammad. La confusion est donc doublement circulaire. En d’autres termes, ce n’est pas le Coran qui a servi de base à l’Islam contrairement à ce que nous croyons. Le Coran est seulement un texte qui a été exploité, un (pré)texte à partir duquel l’Islam a développé les interprétations qui lui étaient nécessaires. Une fois saisi ce mouvement historique et herméneutique expliquant la différence fondamentale entre ce que dit le Coran et ce que l’Islam lui fait dire, il devient possible d’approcher le texte coranique avec un regard neuf. Cela ne signifie pas un regard nouveau ou contemporain, mais au contraire un regard à l’origine. Cette prise de conscience est la deuxième clef permettant de déverrouiller en nos esprits ce Cercle herméneutique.

En ces conditions, pourquoi n’avons-nous pas accepté l’Exégèse comme donneuse de sens au Coran ? De fait, notre recherche personnelle n’a jamais concerné directement l’Islam, mais le Coran. Si les significations des versets coraniques correspondent a priori à celles que l’Islam prône, cette homogénéité serait alors censée servir une lecture du Coran concrètement utile et constructive. En notre monde, ce n’est pas le qualitatif qui prime, mais le quantitatif. Cependant, suite à notre étude approfondie de l’Exégèse durant au moins deux décennies, cette longue fréquentation a mis en évidence des fêlures, des dissonances, des failles. Tout d’abord à la surface du miroir que nous tend l’Islam, puis progressivement se laissent voir des problématiques bien plus profondes. Au cœur du système, le paradigme islamique régente notre compréhension du Coran alors même qu’un examen plus approfondi révèle de nombreuses contradictions, apories, approximations. Une circularité bien imparfaite tandis que le lecteur, lui, tourne en rond à son insu. Il avance en un labyrinthe dont le plan lui échappe et ne repose que sur la volonté de ses bâtisseurs. Cette prise de conscience est la troisième clef permettant de déverrouiller en nos esprits ce Cercle herméneutique.

En ces conditions, que nous est-il possible de comprendre du Coran ? Rien n’est plus aisé et confortant que de se laisser guider sur un parcours de sens semblant en apparence cohérent. C’est bien ainsi que fonctionne le crédit aveugle donné à l’Exégèse, ce d’autant plus que la cohorte des ulémas et de leurs porte-voix amplifie l’illusion d’une vérité sans cesse ressassée. Nous serions donc dans l’impossibilité de comprendre le texte coranique par nous-mêmes, comme si le Coran n’avait pas été destiné à l’Humanité, mais à une poignée de gardiens du Temple sacré. Dieu ne se serait pas adressé à nous, hommes et femmes, simples mortels, mais à une élite chargée de nous en délivrer le sens. Or, celle-ci affirme péremptoirement que le Coran ne parle pas de lui-même, mais que ce sont les Hommes qui le font parler,[5] eux par conséquent. En cela, ils formulèrent dès leurs débuts le point de vue de l’Herméneutique déconstructiviste postmoderne : toute compréhension d’un texte n’est qu’une interprétation.[6] Il n’y aurait donc pas de vérité textuelle, seule une interprétation dominante ferait sens, ferait loi. L’argument d’autorité se substitue ainsi à l’Autorité du Texte et à la raison du lecteur. Il en résulte que le lecteur du Coran est dépossédé de l’intention du Texte et séparé de l’Intention de “l’Auteur”.[7] Cette prise de conscience est la quatrième clef permettant de déverrouiller en nos esprits ce Cercle herméneutique.

Cette très brève évocation du phénomène herméneutique et des clefs qui en redonnent le contrôle ne doit pas conduire à penser que tout un chacun pourrait librement interpréter le Coran. Cela ne signifie pas que tout lecteur du Coran ne soit pas en mesure de le comprendre, le texte coranique nous invite en permanence à le réfléchir, le méditer, le mûrir. Néanmoins, cette compréhension personnelle ne doit pas s’ériger en exégèse, néo-exégèse sauvage qui agite la Toile ; toute araignée tissant son fil, l’on sait le piège en lequel on peut alors s’engluer.  

Concrètement, pouvons-nous comprendre le Coran à nouveau ? Bien que presque 1 500 ans nous séparent de la révélation du Coran et que l’Exégèse dresse depuis plus d’un millénaire le rempart de ses interprétations, le Texte demeure. Là réside notre espoir : le texte coranique a été fidèlement transmis depuis que le Prophète l’enseigna de la part de Dieu et que les premières générations de croyants le mémorisèrent.[8] Par ailleurs, le Coran n’est pas un texte que le Prophète énonça de son propre fait : « Il ne s’exprime pas sous l’effet de la passion », S53.V3, mais l’énoncé résultant d’un complexe phénomène qualifié de révélation[9] : « il   n’est qu’une révélation révélée », S53.V4. Nous sommes donc toujours aujourd’hui face à la Communication du Message de Dieu adressé à l’Humanité, nous et nous tous. Cependant, il se pourrait que sur ce point il ne s’agisse que de notre croyance. En effet, s’agissant des précédentes révélations que Dieu offrit aux Hommes, l’Histoire a montré la réécriture pour partie des textes dits sacrés. La volonté des hommes de religion et la passion exégétique en sont les principaux responsables, le pouvoir le moteur inavoué. Or, en quoi le Coran n’aurait-il pas subi le même sort ? Si tel était le cas, bien que nous cherchions à étudier et comprendre le Message de Dieu, c’est à celui de nos prédécesseurs que nous serions confrontés !

Concrètement, quelle garantie possédons-nous quant à l’authenticité du texte coranique ? Voilà bien l’objet de la première recherche, car en la matière l’on ne peut scientifiquement se contenter de notre croyance en la conservation miraculeuse du Coran. Celle-ci serait exprimée par le verset suivant : « En vérité, c’est Nous qui faisons révéler progressivement le Rappel et, en vérité, quant à lui Nous sommes sûrement vigilant. », S15.V9. En ce cas, l’argument serait circulaire et ne vaudrait pas pour preuve. Or, notre analyse littérale montre qu’il s’agit en ce verset de la protection du Prophète et non du Coran, et l’Histoire confirme qu’il en fut ainsi.[10] Toutefois, rationnellement, si le texte coranique a été effectivement protégé d’altérations scripturaires, c’est uniquement du fait même de l’activité interprétative dont il a été très tôt l’objet. En d’autres termes, ce n’est pas le Texte qui a été modifié, mais sa signification.[11] Autrement dit, parce que l’interprétation porte sur le sens du texte et non sur sa lettre, il ne fut pas nécessaire de modifier le texte coranique lui-même. Parallèlement, la mémorisation large et continue du Coran ne rendait pas possibles de telles altérations.[12] Au final, et à titre de vérification, notre recherche exégétique a mis en évidence de très nombreuses preuves de la conservation à la lettre du texte coranique alors même que les versets en question s’opposent résolument à l’interprétation soutenue par l’Islam ![13]

Concrètement, comment déterminer quel texte coranique suivre ? En effet, il existe plusieurs recensions du Coran qui pour autant ne sont pas diverses versions du texte coranique. Voilà bien l’objet de la deuxième recherche. Vers la fin du IIe siècle de l’Hégire, la transmission du Coran s’institutionnalisa et l’on vit apparaître des Écoles différentes qui ont donné leur préférence à telle ou telle recension. À l’heure actuelle, sur la dizaine de lectures existantes deux seulement sont partagées ou connues par l’ensemble des musulmans : la recension dite de Ḥafṣ et celle dite de Warsh. A priori, nos spécialistes nous affirment que les différences y sont mineures. Elles porteraient essentiellement sur la manière de découper et comptabiliser les versets coraniques,[14] la façon de prononcer certaines lettres. Mais elles ont aussi intégré ou pas certaines variantes de récitation ou qirāāt.[15] Ce point est capital, car comme le montre notre étude méthodologique[16] et ne l’avouent pas nos doctes, une partie de ces variantes est d’ordre exégétique.[17] Elles modifient donc plus ou moins de manière importante la signification de versets ou de segments de versets. Elles sont le témoignage des débats qui agitèrent la sphère des exégètes.[18] Par conséquent, il conviendra d’envisager systématiquement les variantes de récitation en jeu chaque fois qu’elles ont une incidence sur la signification d’un verset. Pour le formuler autrement, nous disposons de 101% du texte coranique initial ![19]

Concrètement, notre analyse littérale suit de principe le texte coranique arabe de la recension Ḥafṣ.[20] Non point que nous la jugions plus valable qu’une autre, notamment la recension Warsh, mais du fait qu’à l’heure actuelle elle s’est imposée à la majorité des musulmans. Le document de base est issu d’un travail éditorial d’envergure de la recension Ḥafṣ ibn Sulaymān [m. 180 H.] sous l’égide du roi Fouād Ier en 1923. Le texte coranique présenté est donné selon la lecture de ‘Āsim ibn Abī an–Nujud [m. 127 H.]. Cependant, le succès actuel de la recension Ḥafṣ est dû au fait que l’Arabie saoudite en sa volonté d’hégémonie islamique mondiale l’a imposée en l’imprimant et la diffusant massivement. En outre, c’est aussi cette recension qui est la référence des exégèses classiques rééditées et plus encore des exégèses contemporaines. De même, la quasi-totalité des traductions est actuellement réalisée à partir de la recension Ḥafṣ. L’on en conclura que la recension Ḥafṣ est le document partagé de référence. Toutefois, nous venons de l’indiquer au paragraphe précédent, si nous suivons linéairement le texte de la recension Ḥafṣ, par contre notre recherche exégétique littérale impose d’examiner systématiquement les variantes/qirāāt d’ordre exégétique. Il s’agit donc d’une lecture croisée à partir d’un document-coran principal.

Ce très bref rappel de l’histoire du Coran a seulement pour but de préciser la nature du document textuel arabe dont nous réalisons l’exégèse littérale. Pour autant, puisque notre recherche est exposée en français, se pose la question de la traduction des versets coraniques. La nôtre sera logiquement l’expression de l’Analyse Littérale du Coran que nous menons en ce projet exégétique.[21] À titre de comparaison nous citerons régulièrement ce que nous nommons la traduction standard. Celle-ci est l’expression d’une lecture wahhabo-salafiste de l’Exégèse et non pas la traduction du texte arabe.[22]

Objectivement, quelle démarche suivre pour comprendre le Coran en dehors de l’héritage exégétique : l’Exégèse ? Nous l’aurons compris, nous n’avons pas le choix de procéder autrement sauf à vouloir répéter une énième fois ce que nos prédécesseurs avaient eux-mêmes redit. Sauf à vouloir creuser plus encore l’ornière d’une interprétation séculaire, sauf à vouloir fouler en boucle le même chemin circulaire. Aucune progression, aucune ouverture, plus on pratique cette voie et plus l’horizon disparaît. Ce système d’interprétation du Coran a certes produit du sens en fonction de ce que l’Islam impérial nécessitait et en conformité avec les cultures et les mentalités de l’époque. Or, si parmi d’autres ces résultats interprétatifs faisaient sens aux alentours de l’an mil, nul doute qu’ils ne correspondent plus à ce que sont les hommes et femmes de ce XXIe siècle. Aurions-nous pour seule issue d’adopter artificiellement un être au monde d’un autre temps pour être en adéquation avec le message que l’Exégèse prône au nom du Coran, régresser au lieu de progresser. Notons qu’un tel constat n’implique en rien qu’il faille actualiser la compréhension du Coran. À en croire les partisans de ce modernisme conformiste, de nombreux versets devraient être déclarés obsolètes. À vrai dire, ces abrogateurs des temps postmodernes n’ont pas su comprendre qu’en réalité c’est l’exégèse de ces versets qui est obsolète.

Objectivement, en dehors d’un conservatisme en voie de momification, nous sommes donc dans l’obligation de comprendre le Coran à nouveau. Il s’agit même d’un devoir : « N’examinent-ils donc pas attentivement le Coran ou bien leurs esprits sont-ils cadenassés, les leurs ? », S47.V24. Ceci étant, nous avons défini l’Exégèse en ses tenants et aboutissants, sa compromission avec l’Histoire et ses objectifs dogmatiques, politiques, mythologiques, religieux. Nous avons aussi rappelé qu’à l’instar des exégètes juifs et chrétiens il avait été opté pour l’interprétation, et ce, jusqu’à la surinterprétation. Par conséquent, pour comprendre le Coran et entendre le Message à l’origine, c.-à-d. avant le temps de l’Exégèse, il est nécessaire de retourner au Texte et non à son interprétation. Ceci implique aussi d’écarter l’ensemble des sources extra-coraniques, l’ensemble des intertextualités antérieurement projetées sur la ligne textuelle. En un mot, repartir à zéro, se confronter directement au texte coranique sans a priori, sans pré-jugés, sans pré-acquis. Faire fi de notre Somme exégétique, des enseignements de l’Islam, de nos croyances et de notre Histoire, se présenter seul, nu et humble face au Coran. Une solution se présente alors inéluctablement, une seule voie à emprunter : l’exégèse du Coran par lui-même et en lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān.

Objectivement, en dehors de la méthodologie interprétative classique, pourquoi l’exégèse du Coran par lui-même et en lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān n’a jamais réellement été mise en œuvre ? Ceci, alors même que l’idée semble d’une certaine manière aussi simple qu’évidente. Pourquoi donc a-t-il été préféré de procéder par collage informatif de milliers d’opinions pour comprendre un texte qui se présente de lui-même comme explicite : « Voici les versets du Texte explicite/mubīn », S12.V1, et qui plus est, « en une langue arabe explicite/mubīn », S26.V195. Or, ce principe exégétique était connu de nos premiers prédécesseurs.[23] Des auteurs anciens comme Tabari mentionnent l’existence de cette approche, mais la réduisent en pratique à l’explication de quelques termes coraniques par d’autres. Des exégètes contemporains comme Muḥammad ash–Shinqīṭī ou Muḥammad Ḥusayn Ṭabaṭabā’ī ont réalisé des exégèses dites tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān. Cependant, en pratique ces auteurs ont relié des versets en fonction de significations antérieurement connues, c’est à dire. les interprétations défendues par l’Exégèse. Le Texte est encore un prétexte, la démarche est encore circulaire, elle ne s’origine pas dans le Coran, mais vise à légitimer par le Coran les interprétations du Coran selon l’Islam. La part signifiante intratextuelle du Coran est ainsi encore réduite au maximum au bénéfice des sources extratextuelles.

Objectivement, en dehors des essais biaisés que nous venons d’évoquer, le Coran délivre-t-il suffisamment d’informations pour être compris de manière autonome ? En ce sens, le Coran doit être qualifié de corpus clos, c.-à-d. un texte intratextuellement suffisant à sa propre compréhension. Tel est le premier postulat exigé par l’exégèse du Coran par lui-même et en lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān. Or, puisque comme nous le verrons notre démarche est scientifique, l’expérience doit prouver la véracité de cette hypothèse. Le présent tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān en est donc la démonstration. Comprendre le Coran par lui-même et en lui-même revient à renverser foncièrement la démarche exégétique classique. Celle-ci a toujours consisté à rechercher dans le texte coranique des versets interprétables en fonction des besoins de l’Islam construit, une justification a posteriori. Quant à lui, le tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān a pour principe de procéder de prime intention à une enquête intratextuelle, transversale et exhaustive afin d’établir la signification dont chaque verset est porteur. Selon cette approche radicale, en tous les sens du terme, le Coran redevient ce qu’il aurait toujours dû être : le point de départ. Cette compréhension à l’origine permet d’établir le paradigme coranique. À l’opposé, la méthode interprétative de l’Exégèse réduit le Coran à n’être que le point d’arrivée du paradigme islamique.

Cette très brève mention du principe d’exégèse du Coran par lui-même et en lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān a deux objectifs. D’une part, comprendre que cette démarche est la seule qui permette d’entendre le Message coranique à l’origine. D’autre part, saisir que cet énorme potentiel exégétique est demeuré jusqu’à présent inexploité. Ces deux points connaissent une seule explication : le processus d’exégèse du Coran par lui-même et en lui-même s’oppose à toute interprétation. Mettre en œuvre un tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān, c’est progresser de l’ombre du Coran vers la Lumière du Coran.

Fondamentalement, le concept d’explication du Coran par le Coran ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān n’est pas en lui-même suffisant. En effet, en dehors de l’intratextualité qu’elle postule, cette approche exégétique nécessite une méthodologie clairement définie. Nous avons mentionné ci-devant que les quelques essais de ce type d’exégèse furent soit partiels, soit partiaux. Se limiter à relier des termes ou des versets les uns avec les autres n’évite pas l’écueil interprétatif puisque les interprétations fournies par l’Exégèse elle-même sont le point de départ de cette recherche. Formulé autrement, cet exercice de connexions textuelles est artificiel, une fausse dynamique intracoranique impulsée par des prérequis exégétiques. Les résultats obtenus ne peuvent de la sorte qu’aboutir à ce que l’Exégèse sait déjà. Or, l’Exégèse est par essence interprétative alors même que le principe du tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān est d’être non-interprétatif puisqu’il suppose que le Coran délivre lui-même sa signification. La compréhension du Coran reste tributaire de l’Exégèse, l’explication du Coran par lui-même est déviée de son objectif premier, le Cercle exégétique existant n’est pas rompu. Ce n’est toujours pas le Coran que l’on entend, mais la voix de l’Exégèse. Le Message n’a pas la parole, la Parole est muette, l’Homme parle à sa place. Le Coran demeure ainsi la caution de l’Islam et son otage.

Fondamentalement, comment comprendre qu’une approche aussi évidente du texte coranique que l’exégèse du Coran par lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān n’ait jamais eu les faveurs de nos exégètes ? Ce manque notoire n’est pas principalement lié à une carence méthodologique, mais provient d’un biais antérieur. En effet, comme nous l’avons relaté, dès l’origine de l’Exégèse le Coran n’a pas été le point de départ qu’il aurait dû être. Globalement, la démarche suivie procéda exactement selon une approche inverse et il en est toujours ainsi pour toute nouvelle problématique. Pour chaque problème qui devait être résolu, qu’il fut d’ordre politique, théologique, dogmatique, historique ou religieux, en réalité les exégètes établissaient préalablement leur point de vue. Ensuite, ils recherchaient dans le Coran un ou des versets qui soient compatibles avec cette opinion. S’il advenait qu’un verset soutienne en apparence l’idée que l’on voulait étayer par le Coran, la signification obvie de celui-ci était laissée en l’état. Dans le cas contraire, le plus fréquent, l’on sélectionnait le ou les versets qui a priori pouvaient convenir à condition de les interpréter en ce sens, et ce, jusqu’à la surinterprétation. Généralement, cette étape était accompagnée d’un enrobage à base de sources externes, jusqu’à l’enfumage. De la sorte, le texte coranique est devenu une matière malléable à l’envi, pleinement asservie à l’Islam et ses priorités. Tel est le processus que nous qualifions d’inségèse.

Fondamentalement, c’est donc très précocement que le Coran a été mis au service de l’Islam. L’Islam est en conséquence une entité autonome qui n’a recours au texte coranique que pour justifier rétroactivement ses propres constituants. Cette inversion de mouvement explique qu’il n’ait été quasiment jamais procédé à l’exégèse du Coran par lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān. En effet, cette exégèse lorsqu’elle est rigoureusement conduite oblige à une lecture holistique du Coran, approche qui en soi limite considérablement les possibilités d’interprétation. Ceci explique le désintérêt certain pour le tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān puisque le noyau dur de l’exégèse interprétative a pour principe la segmentation maximale du texte coranique. Chaque verset est traité comme une unité textuelle, une approche atomistique allant jusqu’à n’envisager que des segments de versets afin de faciliter encore plus les opérations d’interprétation. Ainsi isolés, ces fragments sont de facto totalement décontextualisés. L’interprète n’a plus alors qu’à les recontextualiser de manière orientée afin de les interpréter à sa guise. De plus, il recourt pour cela aux nombreuses sources extra-coraniques imaginées à cette fin. De cette situation de conflit entre le tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān et l’Exégèse interprétative naît un hiatus entre ce que dit littéralement le Coran lui-même, en lui-même et par lui-même et ce que l’Islam lui fait dire pour lui-même.

Fondamentalement, nous l’avons souligné, l’exploitation exégétique du texte coranique a comme principe majeur l’interprétation. Le but est clair, coûte que coûte, et quel qu’en soit le prix, parvenir à extirper du Coran les informations que l’Islam recherche. Ce constat est objectif, il éclaire la nature réelle de l’Islam qui n’est donc pas une religion descendue du Ciel, mais un arbre foisonnant sorti de terre. En soi, cette vision objective de notre Histoire contient en germe un espoir certain. Si le Coran avait été avec exactitude le champ labouré par nos doctes, la récolte connue en serait le seul fruit autorisé. Le Coran et l’Islam indéfectiblement liés, il ne serait plus possible de distinguer le bon grain de l’ivraie. En ce cas, l’Exégèse serait à tout jamais figée, le Coran à tout jamais enfermé, le paradigme islamique pour toujours imposé, la vérité acquise pour toujours indiscutée. Nous l’aurons compris, ni la sacralité du texte coranique, ni son histoire, ni le leadership des ulémas ou des exégètes ne permettent de comprendre le Coran par lui-même et en lui-même. Qui souhaite donc comprendre le Coran en retournant s’abreuver à la source, sans intermédiaires, sans interprétations ni interprètes, aussi autorisés fussent-ils, se doit de relever le défi de l’exégèse du Coran par lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān.

Ce très bref exposé quant à l’exégèse du Coran par lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān aura mis en évidence le caractère incontournable de cette approche intratextuelle du Coran. Pour autant, si le principe est validé, nous avons mentionné les mésusages qui ont été faits de cette démarche. Ceci indique donc qu’il est absolument nécessaire d’élaborer une méthodologie qui soit en mesure de réaliser l’objectif de l’exégèse du Coran par lui-même et en lui-même avec neutralité et impartialité. Tel est l’objet des développements qui vont suivre.

Conséquemment, il apparaît à présent évident qu’il faille rompre le Cercle herméneutique institué par l’Exégèse et l’Islam de manière parfaitement intriquée. Il était donc imposé d’établir une stratégie à même de réaliser objectivement le tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān. Non plus savoir ce que le Coran est en tant que Message dicté par l’Exégèse et l’Islam et diffracté par leur prisme commun, mais déterminer son propos premier. Or, parvenir à ce Message originel selon cette approche nécessite un abandon et une recherche. Abandon de toutes nos certitudes et du bagage exégétique, ce qui est su. Abandon de notre patrimoine culturel et cultuel, être orphelin face à un océan inconnu. Abandon de la facilité et du confort intellectuel, connaître les affres de la solitude. Abandon de la suffisance et de l’ego pensant, connaître le doute et l’incertitude. L’obscurité n’est qu’un passage vers la lumière, une nouvelle recherche s’imposait donc. Recherche d’une voie d’abord jamais empruntée, une face nord. Recherche d’une vérité du texte à même d’écarter les torts. Recherche des paradigmes coraniques, ancrages forts. Recherche pour ne plus lire le Coran avec les yeux des morts. Abandon de la reconnaissance et recherche de la connaissance. Au nom du Coran, il convient de reprendre l’ouvrage selon une approche radicale afin de ne pas retomber dans les mêmes travers que nos prédécesseurs.

Conséquemment, il s’est avéré indispensable d’examiner le socle même de l’Exégèse. Plus précisément, refonder épistémologiquement l’étude du Coran en un domaine rigoureusement rationnel. Considérer le Coran comme un objet d’étude et non une Vérité absolue. Vérité absolue qui ne souffrirait aucune contestation et qui serait représentée par la vérité relative que l’Exégèse et l’Islam soutiennent. Cette position dogmatique est hors de notre champ d’investigation rationnel. Aucun processus de sacralisation ne doit entraver la recherche, le Texte en tous ces aspects doit être librement inspecté. Il faut alors être en mesure de penser l’impensé sans que l’impensable soit un obstacle a priori. Certes, la libre-pensée a un prix, celui de l’effort discipliné que la réflexion rationnelle impose. Mais elle a aussi une limite, elle ne doit pas avoir pour principe de s’opposer aux croyances et aux dogmatismes. Faute de quoi elle court le risque de la subjectivité. Le chercheur doit donc définir un domaine indépendant permettant à la raison de s’exercer librement et objectivement. Autrement dit, rien n’est impossible, en la matière tout n’est pas possible sous peine de ne se résumer qu’à une entreprise de démolition déconstructiviste. Se fier à la raison ne peut être irraisonnable, ce serait remplacer un dogmatisme par un autre. Penser librement le Coran, c’est avant tout mener un combat contre son propre ego.

Conséquemment, il s’est avéré obligatoire de procéder à une revivification des “sciences” coraniques. Il est ainsi traduit la locution ‘ulūm al–qur’ān bien que rigoureusement le pluriel ‘ulūm signifie seulement connaissances et non pas sciences. En effet, c’est par un abus de sens moderne que le terme ‘ilm, au pluriel ‘ulūm, en vint à signifier science. Cette collusion terminologique entre savoir/connaissance/‘ilm et science est révélatrice de la confusion qui règne dans la pensée islamique. En effet, la connaissance ne résulte pas d’une épistémologie scientifique, le spéculatif est ici confondu avec le démonstratif. Classiquement, les exégètes ont donc établi a posteriori diverses catégories de “sciences” dont les sept principales disciplines sont les suivantes : 1 – L’étude de la langue arabe : grammaire, philologie, lexique coranique[24] ; 2 – La chronologie de révélation des sourates et leur classement en sourates mecquoises ou médinoises[25] ; 3 – Les circonstances de révélation des sourates ou versets[26] ; 4 – Les versets législatifs et les règles juridiques qui s’y appliquent[27] ; 5 – Les Sîra et le Hadîth[28] ; 6 – Les variantes de récitation[29] ; 7 – L’abrogeant et l’abrogé.[30] Or, notre étude critique a mis clairement en évidence le caractère construit et circulaire de ce corpus qui, de fait, ne peut être utilisé en l’état. En quelque sorte, faire table rase du passé et porter un regard neuf sur le Coran et son Texte.

Conséquemment, en ce nouveau départ sans soutien, notre référence n’est alors que le Coran seul. Cette approche exige toutefois la neutralité comme base de son objectivité. Ceci, que l’on soit croyant ou non, que l’on soit musulman ou non, que l’on soit chrétien, juif ou autre. Le penseur n’est pas un saint, mais un laïc soumis à l’ascèse intellectuelle. La première étape est le dépouillement, puis, au petit matin, partir en éclaireur. Ce faisant, puisque notre objectif est l’exégèse du Coran par lui-même et en lui-même, tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān, cette nouvelle direction ne peut être indiquée que par le Coran. Or, il est aisé de repérer 5 postulats coraniques,[31] le Coran justifiant lui-même les principes de sa compréhension pour la détermination de son sens littéral.[32] De manière unique, le Coran se donne donc à lire en tant que texte explicite, univoque, cohérent, intemporel, universel.[33] Inversement, ces cinq postulats permettent de comprendre qu’un texte est interprétable ou à interpréter dès lors qu’il est implicite ou plurivoque ou incohérent ou circonstanciel ou culturel. Inversement, le Coran se définit comme un texte qui doit être compris sans qu’il y ait à l’interpréter.  Inversement, toute la théorie exégétique islamique repose sur le fait que le Coran serait interprétable à l’infini.[34] Ce serait même là le signe de sa grandeur et de son origine miraculeuse. L’Exégèse n’est donc qu’une somme d’interprétations.

Ces très brefs prolégomènes permettent toutefois d’établir un cadre général de recherche du sens du Coran par lui-même et en lui-même, tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān. Si le point de départ est d’ordre intellectuel, le point d’arrivée, c’est à dire. notre Exégèse Littérale du Coran, ne peut être atteint qu’en fonction d’une méthodologie parfaitement adéquate.

Théoriquement, en fonction de ce qui précède, il convient de définir dans un premier temps la notion d’interprétation.[35] Celle-ci est effectivement la principale pierre d’achoppement entre l’Exégèse classique et l’Exégèse du Coran par lui-même et en lui-même. Du point de vue de la théorie herméneutique contemporaine, l’interprétation est la modalité même de la compréhension : « l’interprétation est la forme explicite de la compréhension ». Tout ne serait donc qu’interprétation et il n’y aurait de vrai que la relativité de la vérité. Le « pouvoir-dire » d’un texte dépasserait son « vouloir-dire ». En réalité, ce « pouvoir-dire » attribué au texte n’est que l’expression de la revendication par l’Homme du pouvoir de dire. Cette situation est d’autant plus problématique qu’il s’agit du Coran. Toutefois, contre la théorie herméneutique[36] et en faveur du bon sens, si tout texte est interprétable, cela ne signifie pas que tout texte nécessite une interprétation. Or, le Coran, nous l’avons indiqué ci-dessus, se définit lui-même comme étant explicite et univoque. De ce fait, le Coran condamne logiquement et littéralement l’interprétation de son propre texte. Ceci est parfaitement explicite en S3.V7,[37] mais l’Exégèse musulmane semble ne pas avoir voulu entendre cette mise en garde coranique. En effet, afin de soutenir leur démarche interprétative nos exégètes ont interprété ce verset-clef dans le but précis de lui faire avouer le contraire de ce qu’il soutient.

Théoriquement, nous devons aussi aborder la question de la surinterprétation. Cette fille illégitime de l’interprétation a eu les faveurs de l’Exégèse classique. Elle est encore plus en vogue auprès des partisans de la néo-exégèse islamologique. D’un point de vue académique, la surinterprétation serait une interprétation élaborée au-delà d’une interprétation. La surinterprétation peut être aussi définie comme suit : toute compréhension ne visant pas à reconstruire l’intention du texte, mais à rechercher tout ce que le texte n’aurait pas dit, omis. Ce procédé est le plus prisé par nos commentateurs qui pour y parvenir ont deux options. Premièrement, forcer sémantiquement le texte coranique, mais cette option est le plus souvent déjà optimisée par l’interprétation de ce même texte. Deuxièmement, parvenir à imposer ladite surinterprétation par un collage sur-informatif conçu pour parvenir à la signification voulue. C’est alors ce sur-texte qui fait office de texte. L’extratextualité tient donc lieu de référence, la surabondance de ces “preuves” vaut pour véridicité, il s’agit d’un “effet de preuve”. Les mécanismes de production des surinterprétations sont indépendants et tendent de ce fait vers l’infini. Avoir conscience de ces processus déviant de l’interprétation vers la surinterprétation réfère à la limitation éthique que l’interprète devrait s’imposer. Surinterpréter est réellement ne pas tenir compte de ce que dit le Texte.

Théoriquement, comprendre tant le phénomène d’interprétation que de surinterprétation renvoie au concept dit des trois intentions.[38] Cette modélisation est une théorie sémio-herméneutique qui distingue trois acteurs : l’intentio auctoris ; l’intentio operis ; l’intentio lectoris. L’intentio auctoris est l’intention de l’auteur du texte et sa volonté de conduire le lecteur vers son point de vue. Ici, lire est l’opération visant à rechercher l’intentio auctoris, chercher dans le texte ce que l’auteur voulait dire en fonction de la lettre. À ce stade, l’acte de lire est littéral. L’intentio operis est l’intention du texte, c.-à-d. ce qu’en apparence le texte pourrait dire, mais qui ne relèverait pas de l’intention de l’auteur. À ce stade, l’acte de lire est une pré-interprétation possible, mais limitée. L’intentio lectoris est l’intention du lecteur. Celui-ci peut librement interpréter le texte en fonction de ses prérequis, et ce, jusqu’au contre-sens. À ce stade, l’acte de lire est une projection interprétative. L’Exégèse, interprétative de principe, considère le texte coranique comme interprétable à l’infini alors que, comme nous l’avons souligné, celui-ci se déclare pourtant foncièrement univoque. Ces trois intentions-opérations à l’œuvre dans l’acte de compréhension d’un texte n’interagissent pas linéairement, mais conjointement, circulairement, en interaction. Du degré de coordination de ce processus dépendent la catégorisation et le niveau de certitude des significations établies.

Théoriquement, si l’herméneutique postule que tout texte est interprétable, cela n’implique en rien qu’un texte ne puisse délivrer un sens littéral. Il s’agit même de sa fonction première et telle est la position du Coran soutenue en S3.V7. Selon le Coran et notre analyse, toute compréhension d’un texte n’est donc pas une interprétation. Concrètement, l’ensemble de notre Exégèse Littérale du Coran prouve l’existence d’un espace de sens hors interprétation : le Sens littéral.[39] De principe, le Sens littéral est ainsi non-herméneutique et non-interprétatif. Nous pouvons définir le Sens littéral comme suit : la détermination des faits selon l’énoncé. Techniquement, le Sens littéral est le résultat de la résolution algorithmique de l’équation textuelle plurifactorielle. Il peut être qualifié de plus petit dénominateur commun de sens potentiellement unique et non polysémique. Il s’agit de l’unité minimale de sens, la signification dont on ne peut pas affirmer qu’elle n’est pas représentée par le texte. Autrement formulé, ce que dit le texte et dont on ne peut pas dire qu’il ne le dit pas. Au-delà se situe donc l’interprétation. Par ailleurs, le fait littéral est partageable, il répond donc au critère épistémologique d’éligibilité scientifique. À l’inverse, l’interprétation n’est pas reproductible, l’observation d’un même objet textuel peut produire une infinité d’interprétations différentes. Le Sens littéral correspond au ta’wīl ou Sens premier tel que défini par S3.V7.

Ce très bref excursus théorique met en évidence l’existence d’un Sens littéral. Ce concept essentiel est central, il est l’objet de notre Exégèse Littérale du Coran : parvenir à une exégèse du texte coranique qui ne soit pas une interprétation de plus du Coran. Il convenait donc que nous élaborions une méthodologie rationnelle permettant de déterminer avec rigueur ledit Sens littéral. Autrement dit, une analyse systématisée à même de court-circuiter en nos esprits le phénomène d’interprétation.

Conceptuellement, nous savons à présent que le Sens littéral a une existence théorique certaine. Cependant, il est tout aussi certain théoriquement et concrètement que tout lecteur face à un texte est potentiellement en situation d’interprétation, sans même en avoir conscience.[40] Ceci est d’autant plus vrai s’agissant du Coran. En effet, comme toute Écriture dite sacrée, le texte coranique a été très amplement interprété. Or, c’est par ce corpus sédimenté d’interprétations qu’il nous est inconsciemment connu. Par conséquent, tout lecteur est exposé au risque de confondre ce qu’il sait du texte avec ce que le texte dit par lui-même littéralement. Lorsque nous lisons le Coran ou même l’examinons attentivement, le corpus exégétique classique, que nous le connaissions peu ou prou, est la base de ce qui nous semble être notre compréhension du texte. Ces informations collectivement admises et partagées forment notre présupposé. Celui-ci ne peut donc que s’imposer, se superposer, s’interposer entre le texte et son lecteur. Se pose alors de manière aiguë la question motrice : comment en ces conditions déterminer le Sens littéral ? La première intention se doit d’être radicale, ne pas tenir compte des différents plans interprétatifs du Coran et ne considérer ce Texte que pour ce qu’il est : un texte. Lire le Coran avec un regard natif pour ce qu’il dit signifier et en quels paradigmes il s’origine.

Conceptuellement, il convenait de se doter d’une méthodologie permettant de déterminer le Sens littéral, en l’occurrence : l’Analyse Littérale du Coran. Pour en définir rationnellement les principes, nous pouvons convoquer Descartes et ses règles fondamentales[41] présidant à toute analyse bien conduite. Ces lois sont aisément transposables à l’Analyse Littérale du Coran : – La première : « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie… », c’est en notre domaine la contestation de l’évidence herméneutique. Le doute méthodologique commence par la négation de nos préjugés de sens ; taire en soi toute certitude, interroger le texte tout autant que s’interroger. – La deuxième : « diviser […] en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis… », ce qui peut être ramené à l’analyse linguistique d’un énoncé. – La troisième : « faire des dénombrements si entiers […] que je fusse assuré de ne rien omettre », ce qui pose la nécessité d’un examen textuel exhaustif.  – La quatrième concerne l’étape de synthèse : « conduire par ordre mes pensées en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître pour monter […] comme par degré jusques à la connaissance des plus composés… » Concernant l’analyse littérale d’un texte, ceci revient à procéder systématiquement à la mise à l’épreuve des diverses hypothèses de sens théoriquement possibles jusqu’à l’obtention par réduction du Sens littéral.

Conceptuellement, tels sont les principes généraux qui fondent notre méthodologie d’Analyse Littérale du Coran. Il en découle une première définition : Méthodologie analytico-synthétique de détermination du sens littéral au sein du corpus clos coranique. De ce fait, il est tout à fait justifié de qualifier ladite analyse de scientifique. De ce fait, elle apporte à chacune de ses étapes la preuve de son résultat de sens et celui-ci est vérifiable. L’Analyse littérale du Coran est donc par essence une méthodologie non-interprétative. Nous verrons aussi que les voies informatives existantes sont essentiellement sémantiques et intratextuelles, l’Analyse Littérale du Coran est donc aussi une méthodologie sémantique intratextuelle. Par ailleurs, l’organisation de la démarche rationnelle qui y préside est séquentielle et hiérarchisée, l’Analyse Littérale du Coran est donc une méthodologie algorithmique. Enfin, nous avons identifié le Sens littéral comme étant la plus petite unité de sens obligatoirement probante. Au total, la définition complète de l’Analyse Littérale du Coran est donc : « Méthodologie non-interprétative analytico-synthétique d’analyse sémantique intratextuelle et algorithmique pour la détermination du sens littéral au sein du corpus clos coranique ».  Dès lors, l’on comprend que cette méthodologie puisse être qualifiée de non-herméneutique. Notre Exégèse Littérale du Coran en a prouvé la faisabilité par les faits.

Conceptuellement, l’Analyse Littérale du Coran est apte à briser le Cercle herméneutique qui jusqu’à nos jours enserre toute possibilité de comprendre le Coran autrement que par le biais conjoint de l’Exégèse et du prisme de l’Islam. L’Analyse Littérale du Coran est donc à la fois la théorie et la pratique permettant de réaliser l’exégèse du Coran par lui-même et en lui-même, tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān. Cette démarche novatrice tant du point de vue théorique qu’exégétique se devait donc d’être dotée d’outils adéquats et spécifiques. Elle suppose une organisation rationnelle de l’analyse afin de réduire la marge interprétative jusqu’à obtention du Sens littéral. De même, ce processus est conçu pour bloquer toute immixtion d’interprétations lors du processus cognitif de l’utilisateur. En voici l’algorithme analytique constitué de sept étapes[42] :

1 – Analyse thématique 

2 – Analyse structurelle

3 – Analyse contextuelle

4 – Analyse sémantique

5 – Analyse lexicale 

6 – Analyse de la convergence intratextuelle

7 – Résolution du sens littéral. 

Cette très brève présentation de la méthodologie d’Analyse Littérale du Coran permet de comprendre la spécificité de notre Exégèse Littérale du Coran. Celle-ci correspond parfaitement au cahier des charges que nous avons jusqu’à présent mis en évidence. Il est donc possible de réaliser une nouvelle exégèse du Coran qui ne soit pas une énième interprétation ni le résumé des interprétations passées. À la différence de l’ensemble des exégèses qui le précèdent, le processus exégétique que nous suivons est de nature rationnelle et répond à des critères épistémologiques scientifiques.

Méthodologiquement, ledit processus d’Analyse Littérale du Coran n’est pas linéaire, contrairement à sa présentation ci-dessus. Cet algorithme implique que chacune des étapes soit en relation avec les autres en un rapport d’interdépendance. La démarche est circulaire et les étapes se construisent et se vérifient mutuellement. Toutefois, l’analyse thématique[43] de la sourate et son analyse structurelle[44] sont prioritaires. En effet, notre recherche exégétique a révélé un fait majeur : chaque sourate possède un thème qui lui est spécifique. Ce fait avait été soit ignoré soit approché de manière approximative et interprétative. C’est à partir de ce thème que la sourate est structurée en autant de Parties, chapitres et paragraphes que nécessaire à la déclinaison thématique et en fonction de la longueur de son texte. Le thème est ainsi diffracté et le texte de chaque sourate apparaît parfaitement organisé. La détermination du thème repose sur une autre observation, chaque sourate possède une introduction et une conclusion. Le thème est donné par des versets formant introduction et des versets formant conclusion lui font écho. Une fois identifié le thème, nous procédons au séquençage structurel du texte en fonction des variations thématiques qui alors apparaissent. Tout verset est ainsi toujours en lien avec les variations thématiques de la sourate où il est inséré. Les autres étapes de son analyse sont donc conditionnées par ces deux premières étapes.

Méthodologiquement, une fois identifié le thème de la sourate et mis au jour la structure répartissant ce thème en sous-thématiques, chacun de ses versets est automatiquement positionné en la logique de propos de la sourate. De la sorte, un verset n’est plus une péricope, une unité isolée interprétable à merci, mais un élément intégré en un espace de sens thématiquement conditionné. Ce repérage relève de l’analyse contextuelle.[45] Par contextuel, nous n’entendons pas le contexte historique ou pseudo-historique, mais le Contexte textuel. Seul cet environnement thématique permet d’orienter objectivement la compréhension d’un verset. Le Contexte textuel tel que nous le concevons correspond à trois niveaux concentriques, à savoir : le contexte général (fonction de la progression du thème et de ses sous-thématiques), le contexte proche (quel chapitre, quel paragraphe, quels propos conduits), le contexte d’insertion. L’on aura noté que tant cette étape que les deux précédentes sont strictement intratextuelles. Elles ne retirent les informations signifiantes que du texte coranique. L’analyse contextuelle permet de resserrer le maillage intratextuel et d’écarter d’autant le tissage interprétatif. Cette étape permet aussi de traiter l’intertextualité en menant à partir de ces premiers résultats de sens une comparaison critique du corpus exégétique. Cela englobe l’Exégèse, le Hadîth, la Sîra, les corpus bibliques, les données historiques, l’islamologie, etc.

Méthodologiquement, il peut être ensuite procédé à l’analyse sémantique et l’analyse lexicale. Tout comme elles dépendent des trois étapes précédentes, ces deux phases sont nécessairement liées entre elles. Schématiquement, l’analyse sémantique ne repose que sur le texte arabe coranique. Elle met en jeu les règles grammaticales et syntaxiques de la langue arabe classique tout en tenant compte des spécificités de l’arabe coranique. Celles-ci sont d’ordre grammatical, syntaxique, orthographique, stylistique, rhétorique. L’analyse sémantique doit aussi établir à partir des données exégétiques connues une polysémie critique de significations. Elle doit envisager algorithmiquement la crédibilité et la cohérence de l’ensemble des interprétations et surinterprétations. Elle doit de même rechercher toute forme de contradiction intracoranique. L’analyse lexicale doit pour tout verset donné réaliser l’examen exhaustif des sens attribués à chacun des termes. La polysémie des termes doit être envisagée à partir d’une étude critique des encyclopédies anciennes de langue arabe et d’une approche critique des affirmations exégétiques ainsi que des variantes de lecture. L’étude lexicale d’un terme est aussi à rechercher par l’examen de ses diverses occurrences dans l’ensemble du corpus coranique, à repérer les anomalies lexicales de systématisation, les termes dits non arabes, les hapax, les termes rares, les néologismes, les locutions, les métaphores.

Méthodologiquement, la sixième étape réalise l’analyse de la convergence coranique. Ceci revient à étudier intratextuellement la cohérence de l’ensemble des hypothèses de sens qui résultent des opérations précédentes. En parcourant de manière systématique et exhaustive l’ensemble du texte coranique, il convient alors d’interroger ces résultats pour en dégager les postulats et les conséquences qui en découlent. À contexte égal, il faut ainsi vérifier qu’ils ne sont pas en contradiction avec d’autres données coraniques mises en évidence lors de leur analyse littérale. Si celle-ci n’a pas été effectuée, il convient de le faire. Au final, ces circularités intratextuelles coraniques permettent de réduire la polysémie de significations à l’unité de sens. De la sorte, il aura été procédé de manière algorithmique objective et rigoureuse à la détermination du Sens littéral du ou des versets étudiés. Nous sommes alors parvenus à la septième et dernière étape, la résolution du Sens littéral. Il s’agit d’une phase de synthèse permettant de transposer les données constitutives du Sens littéral. La traduction proposée s’appliquera à reproduire terme à terme le texte source en fonction du Sens littéral. Cette transcription veillera à ne pas créer d’ambiguïtés textuelles et à respecter au mieux l’ordre syntaxique du texte arabe. En notre Introduction à la traduction littérale du Coran,[46] nous avons développé le cahier des charges mis en œuvre.

Ce très bref canevas aura montré le fonctionnement algorithmique de l’Analyse Littérale du Coran. Nous aurons ainsi exposé les soubassements théoriques et méthodologiques de notre Exégèse Littérale du Coran. Nous préciserons à nouveau que la démarche analytique et synthétique mise en pratique n’est pas linéaire, mais circulaire. Chaque étape d’analyse peut et doit renvoyer aux précédentes afin de garantir la cohérence intracoranique du Sens littéral ainsi méthodologiquement obtenu.

Exégétiquement, le lecteur de cette Exégèse Littérale du Coran peut donc suivre verset après verset la démonstration d’analyse étape par étape, terme-clef après terme-clef. Chaque notion coranique, chaque concept, chaque paradigme est étudié intratextuellement. Cette approche implique que les volumes de notre Exégèse Littérale du Coran sont tous interconnectés. Tel est bien le principe du tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān. Le maillage intracoranique ainsi réalisé est systématiquement signalé, soit sous forme de citation des versets reliés les uns aux autres, soit par la mention de leur référence. Il est ainsi possible de vérifier qu’un verset du Coran ne peut ni ne doit être étudié isolément. Par ailleurs, le système de renvoi mis en place explique que l’analyse d’un verset n’est pas nécessairement développée in situ.[47] En ce cas, celle-ci est établie au sujet d’un autre verset ou passage similaire où cela s’avère plus pertinent. Il en est de même pour les très nombreux paradigmes coraniques. Le lecteur parcourt donc régulièrement le Texte du Coran, mesurant de la sorte la cohérence de l’intratextualité coranique. Ce faisant, il vérifie que le Coran en tant que corpus clos s’avère tout à fait suffisant et apte à fournir les données permettant son explication par lui-même et en lui-même. Inversement, cela permet de comprendre que la masse des informations extratextuelles apportées par l’Exégèse classique ne fait que brouiller la piste de sens.

Exégétiquement, le lecteur a le plus souvent pour point de départ la recherche de compréhension d’un verset sur lequel il s’interroge. Cette manière de procéder est adaptée aux exégèses classiques puisqu’elle isole ledit verset de son contexte permettant ainsi de l’interpréter aisément. En notre Exégèse Littérale du Coran, différemment, le lecteur trouve donc toujours le verset en question situé en son contexte signifiant. En premier lieu, le thème central de la sourate est donné et explicité en introduction de chacune d’elles,[48] ce à quoi se référera le lecteur. Ensuite, la présentation rappelle en permanence la progression thématique en calquant notre analyse structurelle et la division du texte coranique qu’elle développe. En effet, nous avons mis en évidence et rédigé l’évolution thématique et les liens logiques qui la coordonnent Partie après Partie, Chapitre après Chapitre, paragraphe après paragraphe. Les titres qu’à cette occasion nous avons attribués à chacun de ces éléments permettent au lecteur de situer avec rigueur la thématique du contexte d’insertion dudit verset. Précisons que le cas des sourates situées en fin du corpus coranique est un peu différent. Chacune d’elles possède un thème unique, mais du fait de leur brièveté textuelle, la déclinaison du thème se fait sans qu’il y ait subdivision du texte. Le lecteur a ainsi en permanence à sa disposition un fil guide thématique, clef première de la compréhension du verset qui l’intéresse.

Exégétiquement, le lecteur en poursuivant sa progression dans l’analyse littérale du ou des versets est parfois confronté au contexte historique. Même si le Coran n’est pas un livre d’Histoire, il est régulièrement en prise avec la réalité. Toutefois, le texte coranique est toujours en la matière très allusif. Les premiers allocutaires n’avaient pas besoin de détails pour comprendre ce à quoi il était fait référence. Cette absence manifeste de points de repère, de noms de lieu, de personnages et de données biographiques est destinée à mettre en avant la philosophie du propos qui vaut alors pour les lecteurs de tout temps. À l’opposé de l’Exégèse, notre analyse n’a nul besoin de préciser ce que le Coran a délaissé puisqu’elle porte sur le Sens littéral qui est par nature anhistorique, c.-à-d. intemporel et universel. Nous n’avons donc pas recours aux sources historiques classiquement fournies, mais nous mettons à la disposition du lecteur des informations minimales en la matière. Celles-ci permettent de situer le propos sans en modifier la signification, sans l’interpréter. L’Analyse littérale intratextuelle n’est donc pas coupée de la réalité historique des Hommes, mais à l’instar du texte coranique elle n’en subit pas l’influence. Ainsi, retenir la donnée classique mentionnant le nom du lieudit Ḥudaybiyya en le situant dans la banlieue de La Mecque ne pose pas problème puisque cela ne contredit pas le Coran et n’a aucun impact sur la signification voulue par lui.[49]

Exégétiquement, le lecteur ne trouvera pas sur son parcours de compréhension un amoncellement de références extraites des exégèses classiques, les tafsîrs. L’argument d’autorité n’a aucune valeur s’agissant de l’Analyse Littérale du Coran. Au contraire, notre recours aux exégèses connues n’a qu’un but comparatif et critique. En fonction des besoins de la démonstration littérale, nous citons certains de ces avis, préférentiellement en fin d’analyse des versets. Ce faisant, nous soulignons leur degré d’interprétation et leur éloignement du Sens littéral du Coran. À cette occasion, nous vérifions régulièrement la faiblesse de ces sources extra-coraniques, qu’il s’agisse des “circonstances de révélation”, des avis autonomes de nos doctes passés ou présents ainsi que ceux des islamologues. Le cas des hadîths mis en jeu par les exégètes est pédagogiquement instructif. Il est en effet aisé de constater que même qualifiés d’authentiques/aḥīḥ ces hadîths s’opposent la plupart du temps au Sens littéral. L’on comprendra donc qu’ils sont le fruit de l’Exégèse et non l’arbre prophétique et que ce système est obsolète, égarant la compréhension littérale du Coran. Précisons que nous ne mentionnons pas systématiquement lesdites références scripturaires, il suffit de dire « l’Exégèse ». Le lecteur désireux de sourcer ces propos n’aura aucune difficulté à les retrouver dans les exégèses dites de référence, nous en donnons notre liste en fin de volume.

Ce très bref guide de lecture de notre Exégèse Littérale du Coran indique que notre recherche permet au lecteur de progresser activement vers la résolution du Sens littéral. Cette mise en pratique confirme que le tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān ou explication du Coran par lui-même et en lui-même est méthodologiquement le choix le plus sûr. Rappelons que le Coran nous est parvenu selon une transmission par des voies multiples, mode dit mutawātir, alors que les hadîths et plus encore les sources exégétiques ne le sont qu’en mode dit aḥād, c.-à-d. selon une seule voie de transmission.  

Pragmatiquement le lecteur trouvera en cette Exégèse Littérale du Coran de nombreuses informations. En premier lieu, nous l’avons dit, il découvrira le Sens littéral de chaque verset. Or, celui-ci diffère le plus souvent des interprétations classiques. D’une part, il est plus restreint en portée puisqu’il est non-herméneutique et non-interprétatif. D’autre part, il constitue généralement un argument s’opposant directement à l’Exégèse. Cela revient à intégrer une notion quelque peu déroutante : ce que le Coran dit, l’Islam ne le dit pas forcément et, ce que l’Islam dit, le Coran ne le dit pas nécessairement. Ce sont ces écarts de significations qui constituent le hiatus constaté entre le Coran et l’Islam.[50] Nous tenons à préciser qu’il ne s’agit pas pour autant d’une opposition entre ces deux entités, elles sont simplement de nature et de fonction différentes. De même, il convient encore moins d’opposer l’une à l’autre, ce dont notre recherche exégétique se garde. Quoi qu’on en pense, ce hiatus ne peut qu’exister, car le Coran et l’Islam ont un champ d’action et d’application différent. Le Coran n’est pas une religion, l’Islam oui. Le Coran est une révélation, l’Islam non. De fait, nos doctes ont toujours tenté de masquer l’évidence du hiatus entre le Coran et l’Islam. Une raison simple, l’Islam a toujours prétendu être l’émanation du Texte coranique ; notre Exégèse Littérale du Coran montre que ce n’est que rarement le cas.

Pragmatiquement, notre Exégèse Littérale du Coran permet au lecteur de constater de lui-même ce jeu de différences entre le Coran et l’Islam. En général, nous retraçons et expliquons les motivations qui ont amené l’Islam à procéder à ces distorsions de sens du texte coranique. Ainsi, parmi un très grand nombre d’exemples, sur le plan théologique, le Coran octroie à l’Homme son libre arbitre[51] tandis que l’Islam le lui retire en prêchant la prédestination de toutes choses par Dieu. Nous montrons comment la différence obtenue est construite à base de circonstances de révélation, de hadîths et de surinterprétations des versets en jeu. Sur le plan pratique, le Coran décrit très précisément le rituel des ablutions et indique qu’elles doivent être réalisées avant chaque prière.[52] L’Islam a apporté des modifications aux ablutions coraniques et a permis de ne pas les renouveler systématiquement à chaque prière. Les mêmes techniques sont à l’œuvre. Sur le plan conceptuel, le Coran ne valide pas la notion d’impureté,[53] l’Islam l’introduit en reprenant le modèle judaïque tout en usant des mêmes techniques d’inségèse. Ces procédés ont permis de créer une illusion de continuité entre le propos coranique et le discours islamique. Pour le lecteur, il s’agit donc de s’extraire du paradigme-islam de compréhension du Coran et de découvrir le paradigme-coranique pour accéder à la compréhension du Coran en lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān.

Pragmatiquement, le lecteur relèvera pour chaque sourate une introduction globale. Font exception les sourates les plus brèves où cette approche fait partie du corps d’analyse. En ces Introductions, l’on aborde la question du ou des titres des sourates et, de manière moins anecdotique, la teneur du thème de la sourate concernée et ses diverses perspectives. Un synoptique permet de visualiser la totalité de la structure de la sourate en fonction de la déclinaison dudit thème. Lorsque cela présente un intérêt exégétique, nous débattons de la chronologie supposée des sourates et des approximations ou erreurs présentées par leur chronologie traditionnelle. Selon la même logique, nous discutons de manière critique des raisons ayant poussé les commentateurs à définir l’ordre de classement des sourates à l’intérieur du corpus coranique tel qu’il est à présent fixé. Lorsque c’est le cas, nous mettons en avant les éléments-clefs caractérisant telle ou telle sourate lorsque ceux-ci ont fait l’objet de débats dont le caractère interprétatif et subjectif appelle la révision. Certaines de ces Introductions sont en elles-mêmes de véritables traités historico-critiques. Citons, entre autres, la Sourate 17 où nous démontrons de manière rigoureuse et complète la signification de son premier verset, démarche aboutissant à remettre en cause et la nature et l’attribution à Muhammad du Voyage nocturne/al–isrā et de l’Ascension céleste/al–mi‘rāj.[54]

Pragmatiquement, le lecteur croisera en notre Exégèse Littérale du Coran les définitions des termes-clefs coraniques. Celles-ci résultent d’une étude philologique, étymologique, thématique et contextuelle. Cette recherche est elle-même critique puisque les lexiques de la langue arabe sont pour partie liés aux interprétations exégétiques.[55] Ainsi, pour la seule Sourate 2, plus de 200 termes-clefs, grands principes et paradigmes coraniques sont traités. Ceci s’explique par la très grande densité de cette maîtresse sourate qui, de ce fait, est le texte de référence à l’aune duquel le Coran s’enracine et se comprend. Le lecteur rencontrera aussi régulièrement la problématique des versets prétendument abrogés. Outre que nous invalidons cette mainmise exégétique sur le texte coranique,[56] nous apportons la preuve pour chaque cas de l’arbitraire et de l’infondé de ces abrogations. Par ailleurs, le déroulement de nos démonstrations permet au lecteur de suivre la dynamique de l’analyse littérale en son double mouvement. Ces deux mouvements n’opèrent pas successivement, mais conjointement. Temps de déconstruction, celle de nos herméneutiques, celle de l’Exégèse interprétative, celle de nos interprétations, celle de l’avis commun, celle de l’islamologie. Temps de construction sans lequel ce ne serait que destruction. Reconstitution du Sens littéral et non pas construction d’une interprétation.

Ce très bref résumé des multiples informations et implications de l’Exégèse Littérale du Coran souligne les différences constructives mises en évidence. Ceci remet en question à la fois nos certitudes quant à la signification du Coran et nos certitudes quant à la construction de l’Islam. L’ensemble des avancées mises à disposition du lecteur lui permet de discerner ce qui dans le Coran constitue l’invariant : le Message à l’origine, intemporel et universel dont l’expression et la compréhension procèdent d’un abord circonstanciel et contextuel.

En retrouvant le sens à l’origine, at–ta’wīl, le Sens littéral ou Sens premier, le lecteur se rapproche du temps coranique initial. Cet espace de temps où le Texte s’adressait encore directement à son auditeur avant qu’il ne fût pris en charge par l’Exégèse, la Théologie et le Droit islamique. Autant de connaissances construites qui dès lors s’interposent entre nous et le Coran et brouillent la ligne de texte, la ligne de sens. Autant de savoirs fondant nos ignorances, autant de repères qui, au lieu d’éclairer, obscurcissent. En ce jeu de miroirs, le Texte comme le lecteur sont prisonniers. Précisons que par le retour au point de départ que réalise l’Exégèse Littérale du Coran, l’on ne remonte pas aux origines de l’Islam tel que le salafisme se le figure, mais au Message premier tel que nous le redécouvrons. Cette fenêtre temporelle par laquelle la voix de la Révélation résonnait dans l’espace intérieur des Hommes. Puis, en un éloignement progressif, la voix des Hommes créa un autre espace de sens occultant l’originel. Ainsi, en renouant avec cette fugace impulsion liminaire, notre recherche offre au lecteur un nouvel horizon. Une dimension qui n’est en rien un passé, mais un présent et, plus encore, un futur. Partir à la recherche du sens perdu est une aventure intellectuelle et spirituelle à laquelle le Coran nous convie. En cette difficile remontée en amont, barrage après barrage, le lecteur sera donc constamment appelé à faire usage de sa raison.

En remontant à la source, le lecteur procède à la réinitialisation de son rapport à la compréhension du Coran. En termes actuels, par la mise en action de l’Analyse Littérale du Coran une mise à jour de notre logiciel de lecture est proposée. Bien que de nature scientifique, nous nous en sommes expliqué, ce processus n’a pas pour autant vocation à établir la Vérité. Précisément, parce que notre démarche non-herméneutique de détermination du Sens littéral est scientifique, elle ne définit pas une Vérité absolue qui devrait s’imposer en tant que telle. Le Sens littéral ne représente donc qu’une vérité textuelle. À savoir, le sens dont on peut prouver qu’il est vraiment délivré par le texte et qui ne peut être infirmé par une démonstration du même ordre. En cela, notre Exégèse Littérale du Coran est objective tandis que l’Exégèse classique est subjective, en opposition avec ces sains principes. En convergence avec la tendance de l’Islam à réduire au silence l’autocritique, les exégètes ont eux-mêmes instrumentalisé leurs propos afin de les sacraliser. Or, c’est par le biais de cette sacralisation que ces interprétations, alors qu’il s’agit du sens le plus relatif qui soit, ont acquis le statut de Vérité, indiscutable et indiscutée. Nous ajouterons que si le Sens littéral n’est en somme qu’une vérité du texte fermement et rigoureusement déterminée, cela ne retire en rien au fait que comme toute formulation il est par suite interprétable.

En redécouvrant le Sens littéral, le lecteur se trouve donc confronté à sa propre tendance à l’interprétation. Il devient ainsi responsable de l’intégration et de l’application qu’il en fait. En d’autres termes, il réalise son propre commentaire, lequel échappe alors à l’exposé minutieux et détaillé ayant permis l’établissement du Sens littéral. Du fait de nos herméneutiques, le Sens littéral est aussi un levier de sens.  Ce nouvel espace de sens appartient en propre au lecteur qui le génère, et nous n’en sommes pas le garant. Or, ceci vaut bien évidemment tout autant pour nous. Cette prise de conscience herméneutique a conduit à adopter une stratégie de réflexion et de rédaction par laquelle normalement le commentaire d’un verset n’a pas sa place. Ainsi, ce qui pourrait sembler être un paratexte in texto ou une extension de sens commentée n’est que la mise en avant d’une ligne de sens que l’analyse littérale proprement dite ne pouvait réaliser. Cette part de “commentaires” apporte également des informations complémentaires hors texte : notions et analyses historiques, sociologiques, philosophiques, théologiques, etc. Nous veillons donc autant que faire se peut à ne pas dépasser le cadre littéral aux limites desquelles rôde le loup de nos interprétations. De fait, l’Analyse Littérale et ces données informatives forment la matière de notre Exégèse Littérale du Coran. Le lecteur doit donc avoir conscience de ces potentiels conflits herméneutiques.

En retournant jusqu’au Sens littéral, le lecteur ne doit pas être influencé lors de son processus de compréhension de ladite signification première. Comme nous partons du principe épistémologique que le Sens littéral ne représente pas une Vérité absolue, et afin de supprimer l’influence de l’argument d’autorité, nous n’exposons donc pas nos opinions personnelles ni ce qu’il faudrait en penser et, encore moins, ce qu’il faut faire. De même, nous ne recourons jamais à des formules telles que « Dieu dit », « Dieu dit dans le Coran ». À l’inverse, à la différence de l’islamologue, nous n’employons pas d’expressions comme « l’Auteur dit », ou « l’auteur dit ». Ces positions sont faussement neutres, mais sans sujet réellement identifié. Rarement, quand il s’agit de citer directement un propos que le Coran attribue de manière explicite à Muhammad nous signalons ce rapport par : « Muhammad dit ». Du point de vue de l’Analyse Littérale du Coran, seul le texte coranique en tant qu’entité sémantique discursive nous concerne. L’ensemble de ces précautions oratoires n’est pas que formel, mais reproduit l’objectivité de notre démarche et vise à ne pas influencer le lecteur dans son jugement. De ce fait, nous usons avec constance de l’expression « Le Coran dit » ou autres équivalents. Ces formulations pourraient de prime abord sembler curieuses, voire ne pas avoir de sens, mais elles possèdent indéniablement l’avantage de la neutralité. 

En redonnant au Coran ses lettres de noblesse, notre Exégèse Littérale du Coran permet au lecteur de découvrir des solutions aux problèmes que l’Exégèse pose à notre contemporanéité. Si le Message à l’origine est intemporel et universel, comment s’expliquer que bien des compréhensions de versets ne soient plus compatibles avec le monde d’aujourd’hui. Or, ce décalage n’est que le résultat d’une Exégèse qui ne faisait sens qu’en fonction de son époque, il y a plus de mille ans. Si le Coran semble tenir un propos aussi décalé du réel et du vrai, ce n’est là que le résultat du collage surinterprétatif réalisé par nos commentateurs passés et, à présent, dépassés. Ce n’est pas le Message premier du Coran qui postule la Prédestination, l’hégémonie de l’Islam, le créationnisme, la paternité adamique de l’Humanité, la misogynie, l’infériorité des femmes, l’esclavagisme, la croyance en la sorcellerie, la pédophilie, le djihadisme, l’absence d’amour et de compassion, l’intolérance religieuse, la violence politique, le repliement sur soi, l’autosatisfaction, le retour au Moyen-âge, l’orthopraxie abstruse, le conservatisme, etc. Le retour au Texte une fois littéralement accompli, la modernité du Coran et sa signifiance en notre temps sont évidentes. Le Coran n’est pas obsolète, au contraire il éclaire les problématiques actuelles, ce ne sont que ses interprétations d’un autre âge et d’un autre monde qui projettent leur ombre sur le Texte.

En reprenant le dossier de l’exégèse du Coran à l’initial, notre Exégèse littérale invite le lecteur à poser son regard sur le texte coranique avant qu’il n’ait été pris en charge par l’Exégèse au nom de l’Islam. Il ne s’agit pas d’un voyage dans le temps, car le Coran, s’il n’est pas historicisé comme l’Exégèse et l’Islam l’ont fait, est un éternel présent. Cette dimension intemporelle est la condition de l’universalité du Coran. Or, ces deux constantes en supposent une troisième : la rationalité coranique. Si notre démarche exégétique est sans nul doute cartésienne, c’est parce que le texte coranique est à l’origine rationnel qu’elle a pu produire des résultats de sens rationnels. De fait, le Coran propose une vision rationnelle du monde, une rupture d’avec le monde qui le précédait et du monde en lequel il s’est manifesté. Cependant, selon une logique éminemment humaine, les Hommes, les exégètes, ont réduit le propos coranique à leur propre irrationalité conceptuelle du monde. Un Coran à leur image, un Prophète à leur image, un Dieu à leur image. Ils ont donc figé le Coran dans leur temps, brisant ainsi les ailes de sa modernité permanente. Pour autant, le Coran n’est pas un présent toujours vrai, mais un dépassement temporel appelant sans cesse vers le progrès rationnel. Le Coran signe la fin du temps des miracles et a pour mission d’initier l’Ère de la raison. Parenthèse vite refermée, nous sommes en retard et lui en avance…

En parcourant ce nouveau territoire coranique, le lecteur peut se rendre compte de l’étendue de l’emprise exégétique traditionnelle. Le Coran a été, et est encore, un lieu de rétroprojection de la mythologie, de l’Histoire, de la politique, de la théologie, de la religion. Le texte coranique est ainsi totalement tributaire d’une pensée révolue alors même qu’il appelait textuellement à une révolution tant intellectuelle que philosophique et spirituelle. L’imbroglio constaté est majeur et, en nos esprits, règne la confusion. Le Coran est assimilé à l’Islam et vice versa, mais le Coran endosse alors fautivement et injustement ce que l’Islam a produit. Un des attendus capitaux de notre Exégèse Littérale du Coran est précisément d’éclaircir ce trouble clair-obscur afin de rendre à César ce qui lui appartient. Le lecteur suit ainsi en permanence comment l’Exégèse islamique a procédé pour modifier le Sens littéral coranique, quels procédés elle a utilisés, à quelles sources extra-coraniques elle a eu recours, quelles intentions gouvernaient ces biais. Parallèlement, il constatera comment notre analyse littérale reconstruit rationnellement et méthodologiquement le propos coranique premier. Notre recherche exégétique n’est donc en aucune manière un discours personnel, mais l’expression d’une démarche désirant redonner voix au Coran et indiquer la voie de son Message. En somme, il est proposé au lecteur un outil de réflexion.

En réinitialisant la compréhension du Coran, nous avons pour notre part mené le processus d’exploration littérale à son terme. Néanmoins, nous ne considérons pas que notre Exégèse Littérale du Coran soit une clôture exégétique. Au contraire, il s’agit d’un point de départ. Le processus proposé est certes radicalement nouveau et s’appuie sur des bases exégétiques rationnellement valides qui auparavant n’ont jamais été mises en place, mais sa mise en œuvre ne peut être que progressive. Le travail d’archéologie coranique que nécessite cette entreprise opère strate après strate et ces surcharges du texte coranique sont aussi nombreuses que complexes. Nous ne pouvons donc pas légitimement penser avoir accompli la totalité de cette étude, être parvenu pour chaque verset à la roche mère, à la ligne stricte du Sens littéral. En toute honnêteté, nous estimons que persiste la possibilité de ne pas avoir su discerner tel écueil ou tel sédiment latent. De plus, nous l’avons dit, si la totalité de l’algorithme analytique a pour fonction de faire obstacle à l’herméneutique de l’opérateur, en cette exploration en terre inconnue nous avons potentiellement pu glisser par interprétation. Si certaines possibilités peuvent nous avoir échappé, à l’inverse, pour d’autres, nous aurons poussé les développements à leurs limites. Aussi, bien que cette recherche mette à plat un socle coranique assaini des gangues exégétiques, ce travail demeure perfectible.

En recomprenant le Message à l’origine, le lecteur voit s’ouvrir devant lui un espace de liberté insoupçonné où foi et raison vivent en harmonie. Il ne doit pas s’en étonner, depuis toujours le Coran offre à l’Homme son statut d’être humain libre et responsable. Le Coran ne peut être une barrière dressée entre lui et Dieu, il est au contraire une passerelle guidant tout élan de spiritualité. Il offre une (re)connexion directe avec Dieu, une verticalité à notre existence, sans aucun formalisme. Il est de même un pont entre les Hommes, un savoir-vivre, un savoir-respecter, un savoir-aimer, un savoir-être. Ni Dieu, ni le Coran, ni le Prophète ne sont responsables de la situation des musulmans. L’Islam est une affaire d’Hommes, il leur appartient donc de prendre leur présent et leur avenir en main. La réalisation de l’exégèse du Coran par lui-même et en lui-même ou tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān a rendu disponible un corpus de significations premières. Une somme de repères qui à la seule Lumière du Coran permet à tout un chacun de déterminer ce qui du Coran est intangible et de l’Islam est relatif. Le lecteur doit mesurer toutes les nuances de ce propos. Il ne s’agit pas de déclasser l’Islam en tant que religion, mais à l’aune du Coran se donner les moyens de faire la part des choses. Mieux comprendre le Coran, c’est mieux comprendre l’Islam. C’est aussi comprendre que la Voie du Coran est plus exigeante que la Loi de l’Islam.

Nous voilà parvenu au terme de notre parcours. Plus de vingt années nous séparent des prémices de notre engagement. L’aurore du premier matin et des premières lueurs, la rosée matinale nourrissant notre cœur et notre esprit. Une compagnie sans faille malgré les vicissitudes de la vie. Le Coran en sa rigoureuse splendeur sans cesse renouvelée, toujours éclairé d’un jour nouveau, douce brise inspiratrice. Une Main tendue qui porte la plume page après page dans la fraîcheur de ces feuilles verdissantes et la tiédeur de la terre où l’Arbre s’enracine. Nous avons patiemment couché sur le papier cette sève d’encre, sans prétention, sans militantisme, sans polémique, sans hésitation aussi, sans peur de l’ordre établi. Nous n’avons trahi ni notre respect du Coran ni notre respect de l’Islam, mais nous n’avons pas non plus laissé la sacralité museler la pensée. Nous n’avons eu comme précieux viatique et fidèles alliés que l’amour du Coran, de la foi et de la raison, les trois guides de notre frêle existence. Plus de vingt années ont passé ; au crépuscule vieillissant, espérer du plus profond que Dieu pardonne nos fautes, nos oublis et nos erreurs et que notre dernier souffle soit : « Ô Seigneur ! Pardonne-nous ainsi qu’à nos frères qui nous ont devancés en la foi ! En nos cœurs, fais qu’il n’y ait aucun ressentiment à l’égard de ceux qui croient. Ô Seigneur ! Tu es, certes, Très bienveillant, Tout miséricordieux ! »[57]

Dr al Ajamî
Cordoa, juin 2024


[1] Pour notre traduction de al–kitāb par « le Texte », voir l’analyse littérale de S2.V2.

[2] Pour la mémorisation du Coran en tant qu’unique moyen de conservation du texte coranique du temps du Prophète, voir Vol. I : De la mémorisation du Coran.

[3] Cf. Vol. I : Authenticité du Coran : quelques éléments de réponse.

[4] Pour les diverses significations du terme-clef āya, au pluriel āyāt, voir S2.V1 ; S2.V106 ; S2.V259 ; S45.V2-5, etc. Confer aussi notre étude au Vol. I : Terminologie du Révélé selon le Coran ; le terme āya.

[5] Il s’agit d’une allusion au propos apocryphe attribué à ‘Alī : « Le Coran ne parle pas, ce sont les Hommes qui le font parler. »

[6] Sur ce point que le Coran contredit, cf. S3.V7 et Vol. II : L’interprétation du Coran selon le Coran et en Islam.

[7] Voir plus avant au troisième paragraphe de l’excursus théorique ainsi que Vol. II : Les trois Intentions herméneutiques.

[8] Le Coran en témoigne : « Tu ne suivais avant lui aucun livre pas plus que tu ne le traces de ta main droite, de sorte que les partisans du faux connaissent très certainement le doute. Au contraire, il n’est que clairs versets dans le for intérieur de ceux à qui est donné ce savoir. Seuls les iniques nient Nos versets. »,S29.V48-49. Cf. Vol. I: Histoire de la transmission du Coran : oralité et écriture.

[9] Nous avons étudié de manière rationnelle le processus constitutif du phénomène de révélation au Vol. I : Théorie de la Révélation selon le Coran.

[10] Cf. Exégèse Littérale du Coran de S15.V9 ainsi qu’au Vol. I :  Dieu protège le Coran ? 

[11] Cf. Vol. I : L’Interprétation et la conservation du Coran.

[12] Sur ce point, voir Vol. I : De la mémorisation du Coran.

[13] C’est prioritairement ce type de versets qui auraient dû être modifiés, mais ce n’est manifestement pas le cas puisque l’on retrouve in texto les éléments textuels qui contredisent l’interprétation défendue par l’Islam ; cf. Vol. I : Authenticité du Coran : quelques éléments de réponse.

[14] Ainsi le nombre de versets varie-t-il de 6 000 à 7 000. Le chiffre bien connu de 6 236 versets est celui de la recension Ḥafṣ.

[15] Précisons que l’ensemble des variantes validées n’affecte pas le ductus, le corps consonantique du texte coranique, mais uniquement la voyellisation et les points diacritiques. 

[16] Cf. Vol. II : Variantes de récitation ou qirā’āt.

[17] Par conséquent, contrairement à l’affirmation de nos spécialistes, cela signifie en premier lieu que lesdites variantes exégétiques n’ont pas été transmises par le Prophète et qu’elles influent sur le sens des versets qu’elles affectent.

[18] Sur ce point, voir, voir Vol. II : Variantes de récitation ou qirā’āt.

[19] En conséquence de cette variation sur une unique ligne de texte, nous avons discuté le cas d’au moins 75 variantes exégétiques et retenu celles qui concordaient logiquement avec le résultat de sens fourni par notre analyse littérale.

[20] Cf. Vol. I : Quel Coran ?

[21] Comme nous l’exposons plus avant, il s’agit de la dernière étape de l’algorithme d’analyse que nous mettons en œuvre.

[22] La “traduction standard” est patronnée et imposée par l’Arabie saoudite, littéraliste, elle illustre pleinement la différence d’avec nos résultats littéraux. Confer en ligne notre article : « Nous n’avons jamais traduit le Coran » : https://www.alajami.fr/2024/02/29/nous-navons-jamais-traduit-le-coran/ et aussi Vol. II : Littéralité et littéralisme ainsi que Vol. I : La traduction standard.

[23] L’on peut citer le propos de Ibn Kathīr en l’introduction à son exégèse : « le meilleur tafsîr du Coran est celui du Coran par lui-même, tafsīr al–qur’ān bi-l–qur’ān, mais parce que celui-ci est délicat à réaliser, il est préférable de choisir l’explication s’appuyant sur l’information remontée au Prophète ou, à défaut, aux trois premières générations dites des pieux salafs. »

[24] Pour notre analyse critique, voir Vol. II : Analyse lexicale ; Les réentrées lexicales ; Analyse sémantique.

[25] Pour notre analyse critique, voir Vol. I : Chronologie et ordre des sourates.

[26] Pour notre analyse critique, voir Vol. II : asbāb an–nuzūl :circonstances de révélation ou révélations de circonstance ?

[27] Pour notre analyse critique, voir Vol. III : La Législation coranique ; Loi divine selon le Coran et en Islam ; La Charia selon le Coran et en Islam.

[28] Pour notre analyse critique, voir Vol. II : Les sources extratextuelles ainsi qu’Intertextualité, critique des sources exégétiques. 

[29] Pour notre analyse critique, voir Vol. II : Variantes de récitation ou qirā’āt.

[30] Pour notre analyse critique, voir Vol. II : L’Abrogation selon le Coran et en Islam

[31] Nous étudions en détail ce point fondamental au Vol. II : Les cinq postulats coraniques du Sens littéral.

[32] C.-à-d. le sens ne résultant pas d’une interprétation. Nous reviendrons plus avant sur la notion de sens littéral non-interprétatif.

[33] Dans l’ordre, voici cinq références de verset indiquant ces postulats : S12.V1 ; S18.V1 ; S4.V82 ; S25.V1 ; S34.V28. L’on pourrait ajouter deux autres catégories classiques : savoir ce qui relève du sens propre et du sens métaphorique, al–ḥaqīqa wa al–majāz ou du sens général et du sens particulier, al–‘āmm wa al–khāṣ.

[34] Sur ce point essentiel, voir Vol. II : L’interprétation du Coran selon le Coran et en Islam – S3.V7 ainsi que : Interprétation infinie du Coran – S18.V109.

[35] Pour plus de développements, cf. Vol. II : L’Interprétation et Sens et Interprétation.

[36] Cf. Vol. II : Herméneutique et Vérité.

[37] Cf. Vol. II : L’interprétation du Coran selon le Coran et en Islam – S3.V7.

[38] Cf. Vol. II : Les trois Intentions herméneutiques.

[39] Pour le concept de Sens littéral et les démonstrations afférentes, cf. Vol. II : Le Sens littéral ; Sens et interprétation ; Sens littéral et intratextualité.

[40] Voir supra la conceptualisation du phénomène de lecture dite théorie des trois intentions.

[41] Il s’agit des règles spécifiées par René Descartes en son Discours de la méthode.

[42] Notre méthodologie d’Analyse Littérale du Coran et en particulier le fondement, le traitement et le fonctionnement de chacune de ces sept étapes font l’objet du Vol. II.

[43] Cf. Vol. II : Analyse thématique.

[44] Cf. Vol. II : Analyse structurelle.

[45] Cf. Vol II : Analyse contextuelle.

[46] Confer notre Traduction littérale du Coran – le Message à l’origine.

[47] Ceci est tout particulièrement vrai pour les récits des prophètes ou ceux des Cités que Dieu a laissées à leur destruction, passages aux nombreuses occurrences. Quoi qu’il en soit, la totalité des références, renvois et croisements intratextuels sont l’objet d’un Index général représentant le dernier volume de notre Exégèse Littérale du Coran.

[48] Nous signalerons présentement, c.-à-d. au sujet du contenu de ce premier volume de notre Exégèse Littérale du Coran, l’exception à la règle, à savoir la Fâtiha. Celle-ci n’est effectivement pas une sourate à proprement la définir, mais un texte liturgique, elle ne présente donc pas un thème ; sur ce point, voir notre Introduction à la Fâtiha.  

[49] Pour indication, l’épisode de tension à Ḥudaybiyya et le traité qui y fut signé entre le Prophète et Quraysh ainsi que ses conséquences à moyen et long terme sont l’évènement auquel le Coran fait le plus référence.

[50] Le constat de ce Hiatus entre le Coran et l’Islam est l’objet du Vol. IV. Ce différentiel, lorsqu’il est spécifiquement d’ordre exégétique, est l’objet du Vol. III.

[51] Voir par exemple S2.V272 et S2.V284.

[52] Cf. S5.V6 et S4.V43.

[53] Cf. par exemple S2.V168-169.

[54] Nous pouvons aussi citer l’Introduction à la Sourate 8 où l’analyse du texte coranique nous conduit à une révision critique de l’histoire de Badr selon l’Islam.

[55] Pour notre analyse critique, voir Vol. II : Analyse lexicale – Les réentrées lexicales.

[56] Pour notre analyse critique, voir Vol. II : L’Abrogation selon le Coran et en Islam.

[57] S59.V10.